Beau drame sur la différence et la marginalité, Mask peut être considéré comme le dernier film important de Peter Bogdanovich, et ceci malgré des aléas de production qui pouvaient couler l’entreprise.
Synopsis : Rocky n’est pas un garçon comme les autres. Il souffre d’une maladie dégénérative incurable, entraînant une déformation du visage. Il vit seul avec sa mère, qui l’aime et le protège, mais qui doit elle aussi faire face à ses propres démons : elle plonge dans des aventures sans lendemain, et dans la toxicomanie… De son côté, même s’il se fait accepter à l’école, Rocky se sent seul et triste : sa difformité creuse un fossé social, qui l’empêche de mener une existence comme les autres jeunes de son âge…
Un avis fondé sur la version cinéma diffusée en 1985
Critique : Tout d’abord, il est important de préciser que cette critique est basée sur la version cinéma de 1985 et non sur le director’s cut édité dans les années 2000. Comme nous l’expliquerons plus loin, le long-métrage a donc été visionné avec les chansons de Bob Seger et non celles de Bruce Springsteen, ce qui peut influencer le ressenti général.
Fondé sur l’histoire vraie de Roy L. Dennis, un adolescent atteint de dysplasie craniométaphysaire qui donnait à son visage un aspect particulier proche de celui du John Merrick d’Elephant Man (Lynch, 1980), le scénario d’Anna Hamilton Phelan a immédiatement passionné les exécutifs du studio Universal. Ils le proposent au réalisateur Peter Bogdanovich qui a justement bien besoin d’un succès pour revenir au premier plan après plusieurs échecs commerciaux qui ont ruiné sa crédibilité auprès des studios, ainsi que des cinéphiles.
Un film de commande qui entre en résonance avec la vie du cinéaste
Toutefois, Bogdanovich trouve un lien émotionnel avec sa propre vie. Effectivement, celui-ci a eu une intense relation amoureuse avec l’actrice Dorothy Stratten qui se passionnait pour l’histoire de John Merrick avant d’être assassinée par son mari jaloux en 1980. Bogdanovich, profondément affecté par ce terrible drame, souhaitait ainsi rendre hommage à son ancienne amante par le biais de Mask (1985) qui entretient de nombreux liens avec le vécu de John Merrick.
Et de fait, Mask possède tous les ingrédients pour faire du long-métrage non seulement un gros succès commercial, mais aussi un sérieux prétendant aux Oscars. Ainsi, le film est fondé sur une histoire vraie bouleversante, avec un jeune homme handicapé par un physique disgracieux, ce qui pouvait donner lieu à un mélodrame prompt à émouvoir les foules. Si le long-métrage s’appuie sur la prestation impressionnante du jeune Eric Stoltz, il peut également compter sur l’aura de star de Cher dont la décennie 80 à été vouée à sa carrière d’actrice, elle qui a triomphé dans les années 60 et 70 dans la chanson avec son duo Sonny & Cher.
Mask met en avant l’Amérique des marginaux
Mais si Mask avait tout du film à Oscars, Peter Bogdanovich a su éviter un certain nombre d’écueils. Tout d’abord, le jeune garçon difforme est certes au centre de l’histoire, mais le script insiste aussi sur sa relation avec sa mère, pur produit des années 70 dans sa liberté et sa marginalité. Alors que le freak adolescent est globalement plutôt bien accepté par la société grâce à son brio intellectuel, sa mère incarnée avec talent par Cher éprouve des difficultés à entrer dans le moule américain. Rebelle par nature, mal embouchée, fréquentant uniquement des bikers et sombrant facilement dans la drogue, la mère de famille est loin d’être un modèle de stabilité psychologique. Pourtant, Bogdanovich ne la juge jamais et montre avec dignité son combat pour améliorer le quotidien de son fils, tout en luttant en même temps contre ses propres démons.
On sent durant toute la projection l’affection sincère du cinéaste pour ses personnages et tous ceux que l’on considérait généralement comme des marginaux dans la société américaine des années 70. Si la réalisation de Bogdanovich manque de mordant et semble un peu trop appliquée parfois, on peut lui créditer le fait de ne pas tomber dans la mièvrerie et le sentimentalisme béat, alors même que le sujet s’y prêtait. D’après les différents témoignages, le tournage fut parfois compliqué entre le réalisateur et sa star féminine. Relations qui ne se sont guère arrangées par la suite puisque le film terminé a été victime d’une polémique.
La polémique entre Bogdanovich et le studio Universal enfle pendant le Festival de Cannes 1985
Effectivement, Peter Bogdanovich a découvert avec stupeur que le studio Universal avait amputé Mask de deux scènes complètes auxquelles le cinéaste tenait beaucoup. Mais le pire concerne la musique du film qui devait comprendre des enregistrements de chansons de Bruce Springsteen dont le vrai Roy L. Dennis était fan – comme l’atteste un poster dans la chambre de l’adolescent dans le film. A la suite d’un désaccord financier avec la maison de disques de Springsteen, Universal a demandé à Bob Seger de signer plusieurs titres qui ont remplacé ceux de Springsteen dans la version finale, sans que Bogdanovich en soit informé.
Présenté dans cette forme non validée par le réalisateur, Mask a été projeté ainsi dans les salles américaines, puis au Festival de Cannes où la polémique a éclaté. Cela n’a pas empêché le film d’obtenir un prix d’interprétation pour Cher, ni de connaître un beau succès aux États-Unis en se plaçant à la 12ème place annuelle en 1985. Avec 48,2 M$ de recettes rien qu’en Amérique du Nord (soit l’équivalent de 122,8 M$ au cours ajusté du dollar en 2021), Mask constitue une bien belle affaire pour son studio.
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Le plus gros succès de Peter Bogdanovich en France
A Paris, le long-métrage crée la surprise en arrivant à la troisième place du box-office lors de sa semaine d’investiture avec 33 017 curieux, juste derrière La rose pourpre du Caire (Allen) et la continuation de Witness (Weir). La deuxième semaine voit les entrées augmenter avec 38 045 clients supplémentaires et le long-métrage a fait preuve d’une belle stabilité au fil des semaines, allant jusqu’à 173 192 tickets vendus sur la capitale.
En France, Mask déplace 103 198 spectateurs en première semaine pour une quatrième place hebdomadaire grâce à l’effet cannois. Le bouche-à-oreille plutôt bon a permis au film de rester stable plusieurs semaines et d’aboutir à un total de 651 927 amateurs de drames poignants.
La version director’s cut réintègre les chansons de Springsteen
Malgré ce beau succès, la carrière de Peter Bogdanovich ne fut pas relancée puisque son procès avec Universal a entamé sa crédibilité auprès des studios. Cher a quant à elle été récompensée à Cannes, mais boudée aux Oscars où elle n’a même pas été nommée, contrairement aux Golden Globes.
Depuis cette époque, Peter Bogdanovich a fini par trouver un arrangement avec le studio dans les années 2000 et a donc pu créer un director’s cut plus long de sept minutes, mais qui réintègre surtout les chansons écartées de Bruce Springsteen. Si la version que nous avons visionnée est déjà plutôt convaincante, la présence des chansons du Boss peuvent effectivement apporter une certaine plus-value à l’ensemble.
Critique de Virgile Dumez