Thriller méconnu pour cause de cuisant échec commercial, L’homme qui voulait savoir est pourtant une œuvre dérangeante qui mérite largement d’être redécouverte par un public amateur d’étrangetés filmiques.
Synopsis : Sur la route des vacances, Rex et Saskia s’arrêtent sur une aire d’autoroute. L’homme s’éloigne du véhicule pendant quelques minutes. A son retour, sa compagne a disparu. Fou de douleur, il renonce à sa vie professionnelle et sociale pour se consacrer exclusivement à la recherche de la disparue. Après trois années d’une quête infructueuse, il reçoit une étrange carte postale, dont l’auteur prétend connaître la vérité sur la disparition…
Une micro-production néerlandaise
Critique : Le producteur et cinéaste George Sluizer a déjà une carrière bien remplie derrière lui – avec quelques réalisations disséminées au cours des années 70-80 – lorsqu’il décide d’adapter à l’écran le roman de Tim Krabbé L’œuf d’or sur un scénario de ce dernier. Le projet s’avère difficile à monter sur le plan financier, et ceci malgré une coproduction franco-néerlandaise.
L’ensemble du tournage a d’ailleurs été marqué par d’importantes contraintes budgétaires qui ont sans nul doute affecté le résultat final, notamment sur le plan de la réalisation et de la gestion des extérieurs, visiblement tournés dans l’urgence. Toutefois, L’homme qui voulait savoir (1988) a rencontré un véritable succès critique dans tous les festivals où il a été diffusé et a acquis une belle réputation qui n’a pourtant pas suffi à en faire un succès public. En France, le métrage est passé tout simplement inaperçu et peu de gens se souviennent de son existence. Une terrible injustice au regard de la qualité de ce thriller philosophique hors norme.
Une structure ternaire classique mais brillante
L’homme qui voulait savoir s’appuie sur un scénario absolument brillant proposant une multiplicité de points de vue et de niveaux de lecture, comme on en voit rarement dans le domaine du thriller. Construit en trois parties, le script reprend une structure à la Rashomon pour exposer un point de vue différent sur le même événement. Nous suivons tout d’abord le jeune couple de Néerlandais en vacances et la disparition de la jeune femme sur une aire d’autoroute.
Ensuite, le film bascule du point de vue du kidnappeur dont nous suivons les préparatifs minutieux sans vraiment comprendre ses raisons. Enfin, au bout d’une heure, nous nous retrouvons trois ans plus tard afin de suivre le jeu du chat et de la souris que se livrent le kidnappeur et le jeune homme désireux de connaître le destin de sa fiancée disparue. Si la structure peut paraître assez classique, elle permet surtout de capter l’attention du spectateur jusqu’à un twist final absolument glaçant – et qui a fait beaucoup pour la renommée du film.
L’homme qui voulait savoir et ses multiples niveaux de lecture
Toutefois, le métrage peut également être perçu comme une métaphore du cinéma puisque le spectateur est amené à s’identifier au jeune homme recherchant sa femme. Effectivement, le scénario ne nous indique pas ce qu’il est advenu d’elle et donc, tout comme son compagnon, nous mourrons d’envie de savoir ce qui s’est passé, au point de désirer sa perte.
Le kidnappeur, lui, est un véritable metteur en scène se prenant pour un deus ex machina. L’effet particulièrement déstabilisant du film vient du fait que le spectateur, lui aussi, se retrouve dans la position de victime du monstre ayant tout prémédité. Quelle plus belle définition du cinéma que celle d’un spectateur (victime consentante) s’abandonnant totalement aux mains d’un metteur en scène démiurge, le tout au cœur des ténèbres ?
La connaissance ou/et la mort
Autre thème largement développé par les auteurs, le destin joue un rôle fondamental ici, au point d’apporter une dimension métaphysique à ce thriller décidément peu banal. Le kidnappeur se met ici à la place de Dieu en décidant qui doit vivre, qui doit souffrir ou mourir. Mais le jeune homme, en cherchant à connaître le mystère de la disparition de sa bien-aimée, précipite sa propre fin.
Doit-on absolument tout comprendre des mystères de l’univers ? L’homme peut-il atteindre la Vérité sans se brûler les ailes tel Icare ? Dès lors, le script ouvre une dimension quasiment mystique au spectateur, ce que nous pressentons déjà dans la scène étrange se déroulant dans le tunnel. Cette impression d’irréalité, de rêve éveillé ou plutôt de cauchemar est confirmée par le tout dernier plan qui correspond au rêve évoqué par le couple au début du métrage.
Si certains ont accusé le film de raideur, notamment dans son dispositif formel très sobre, cette apparente sécheresse renforce en réalité l’aspect froid et méthodique du kidnappeur. Ce dernier est d’ailleurs interprété avec maestria par un Bernard-Pierre Donnadieu tout en sobriété. Il s’agit de l’un de ses meilleurs rôles. La jeune Johanna ter Steege (La tentation de Vénus, Ludwig Von B.) est quant à elle une pure révélation tant elle apporte de la vie dans une œuvre glaciale comme la mort. Tendu comme un garrot alors qu’il ne se passe quasiment rien, L’homme qui voulait savoir exerce donc une fascination qui demeure prégnante longtemps après la fin de la projection.
Un film culte à nouveau disponible grâce à une restauration 2K
Auréolé d’une belle réputation malgré son échec commercial, le film a également fait l’objet d’un remake américain intitulé La disparue (1992) avec Jeff Bridges, Kiefer Sutherland et Sandra Bullock. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est George Sluizer lui-même qui a réalisé ce remake. Est-ce une surprise si l’on vous dit qu’il est nettement inférieur à l’original malgré une facture technique plus aboutie ? La grâce, cela ne se calcule pas.
Depuis peu, le thriller a fait l’objet d’une restauration 2K aux Pays-Bas. C’est ce master magnifique qui a été utilisé pour la reprise cinéma du 5 juin 2024 et également pour sa sortie vidéo dans un très beau Mediabook édité par Sidonis Calysta dans la foulée. L’occasion rêvée pour toute une génération de redécouvrir cette œuvre glaciale de premier ordre.
Critique de Virgile Dumez
Box-office de L’homme qui voulait savoir
Pathé, à la fin de l’année 1989, décide de sortir L’Homme qui voulait savoir, film néerlandais avec l’acteur français Bernard-Pierre Donnadieu. Une bonne idée au vu des excellentes critiques et des prix glanés dans les différents festival. La date de sortie, en revanche, laisse perplexe puisque le distributeur le propose la semaine du 20 décembre 1989, à savoir lors d’une semaine de vacances festives où les spectateurs ont probablement besoin de divertissements plus légers. C’est ainsi que le polar psychologique extrêmement dérangeant se retrouve face à des nouveautés telles que Retour vers le futur 2 qui sort dans 49 salles à Paris-périphérie, ou bien encore le film de Luigi Comencini Joyeux Noël, bonne année qui lui est proposé dans 20 salles, ou un autre film italien Bandini également dans cinq cinémas. Les amateurs de films d’art et d’essai exaltés pouvaient découvrir Boris Godounov, un biopic par Andrzej Zulawski.
Pathé profite néanmoins de 6 cinémas à Paris pour exploiter cette œuvre atypique. On la retrouve en première semaine dans 4 cinémas Pathé : le Marignan, le Clichy, le Français et le Hautefeuille. On peut également le voir aux Parnassiens et au Forum Orient Express. En cette période de fêtes, les chiffres de 5 753 spectateurs ne sont pas forcément négatifs. Le Pathé Marignan réussit même à dépasser la barre des 1405 spectateurs dans son seul cinéma.
La 2e semaine, marquée par le jour férié du premier janvier, permet au film d’accroître son nombre de spectateurs. Ce sont ainsi 6 487 Parisiens qui s’y frottent.
Dans 6 cinémas en 3e semaine, le film est stable avec 5 237 curieux qui viennent être remués. A priori tout va bien pour L’Homme qui voulait savoir qui pourrait presque durer, mais c’était sans compter la 4e semaine où le film doit affronter une avalanche de nombreuses sorties. Dans 5 cinémas, le film attire tout de même 3 139 retardataires pour un total de 20 616 spectateurs.
Les exploitants n’ont nul autre choix que de se débarrasser de toutes les copies du film puisque la semaine du 17 janvier fleurissent sur les écrans Le Cercle des poètes disparus dans 30 cinémas, Embrasse-moi vampire dans 19 cinémas, Léviathan dans 19 salles, 36-15 code Père Noël dans 17 salles, Simetierre dans 18 salles, Tom et Lola dans 15 salles… Oui, nous étions en plein Festival d’Avoriaz. Conséquence pour L’Homme qui voulait savoir : il ne lui reste plus qu’un seul cinéma, un placard au fin fond du Forum des Halles intitulé le Forum Orient Express, qui embarque à son bord 590 spectateurs. Si on ajoute les 278 spectateurs du Parly II en banlieue, le total de Franciliens s’élève désormais à 21 484.
Le score n’est pas grandiose mais, mine de rien, cela aurait pu être bien pire. En province, le film se permet même de doubler la mise parisienne.
En 2024, le distributeur Tamasa rééditera le film pour une sortie salle de 8 semaines à Paris, essentiellement au Grand Action, pour un total symbolique de 1 097 spectateurs.
Box-office par Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 20 décembre 1989
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Biographies +
George Sluizer, Bernard-Pierre Donnadieu, Bernadette Le Saché, Gene Bervoets, Johanna ter Steege
Mots clés
Cinéma néerlandais, Les enlèvements au cinéma, La claustrophobie au cinéma, Les tueurs fous au cinéma, Film culte