L’histoire du petit Muck est un joli conte pour enfants dans la lignée du baron de Munchausen. Kitsch, mais mignon et amusant, le résultat est plutôt une réussite. Il s’agit du plus gros succès rencontré par un film en RDA.
Synopsis : Pour faire cesser les moqueries d’enfants turbulents, le vieux potier bossu Muck leur raconte son histoire : orphelin très jeune, Muck partit dans le désert à la recherche du marchand de bonheur. Séquestré par une sorcière, il parvint à lui échapper, emportant au passage un bâton magique et une paire de babouches enchantées. Il s’en alla alors tenter sa chance à la cour du sultan.
Un projet de grande envergure produit en Allemagne de l’Est
Critique : La DEFA (pour Deutsche Film AG), unique compagnie cinématographique de RDA (Allemagne de l’Est) entièrement contrôlée par l’État, s’est rapidement spécialisée au début des années 50 dans la confection de films pour enfants. Ceux-ci permettaient aux artistes de ne pas trop s’engager sur le plan politique, tout en contribuant à l’édification des masses populaires par le biais de contes inoffensifs. Ainsi, la compagnie a notamment produit La légende de la Forêt-Noire (1950) de Paul Verhoeven – homonyme à ne pas confondre avec le réalisateur néerlandais sulfureux des années 80-90. Ce conte extrait de l’œuvre littéraire de Wilhelm Hauff qui est l’équivalent des frères Grimm en termes de popularité au 19ème siècle a rencontré un incroyable succès en RDA, générant plus de 9 millions d’entrées, soit la moitié de la population du pays.
Motivée par ce succès hors normes, la DEFA compte tourner une nouvelle version de L’histoire du petit Muck, autre conte du même auteur qui a déjà donné lieu à plusieurs versions muettes et sonores. Pour cela, ils déploient des moyens extraordinaires en faisant recréer l’intégralité de l’Orient des Mille et une nuits dans les studios Babelsberg. Réalisateur plutôt spécialisé dans le drame sérieux, Wolfgang Straudte se retrouve à la tête de cette énorme machine par hasard. Il vient effectivement d’être congédié du tournage d’un film intitulé Mère courage pour cause de désaccord artistique avec Bertold Brecht, auteur de la pièce et du scénario.
Wolfgang Staudte s’amuse à récréer un Orient fantasmé
Se retrouvant sans emploi du jour au lendemain, Wolfgang Staudte voit dans L’histoire du petit Muck l’occasion de se confronter à une énorme production et de s’amuser à gérer des décors gigantesques et des effets spéciaux. Largement influencé par Le voleur de Bagdad (Powell, Pressburger, 1940), mais aussi le très germanique Les aventures fantastiques du Baron Münchhausen (von Báky, 1943), L’histoire du petit Muck (1953) est un film d’aventures exotiques comme on en produisait beaucoup à cette époque. Très largement inspiré par la structure des contes des Mille et une nuits, l’histoire est racontée en flashback par le vieux Muck qui évoque les aventures vécues dans sa jeunesse.
Au passage, le film se distingue bien du conte original, puisque Muck est ici un mignon petit enfant pourvu d’une bosse assez discrète, alors qu’il s’agit vraiment d’un personnage repoussant dans la version littéraire. Autre transformation majeure, le but du petit Muck est de trouver le bonheur, alors que le conte évoquait davantage la recherche de la richesse. Si cela peut sembler anodin, il est évident que le film doit être aujourd’hui vu pour ce qu’il est : un outil de formation des jeunes esprits au socialisme prôné par l’État. De fait, le petit Muck, au cours de ses nombreuses pérégrinations, va apprendre à faire la distinction entre le Bien et le Mal, mais aussi comprendre la valeur du partage et de la solidarité. De paria au début du film, il finira ainsi reconnu par l’ensemble de la collectivité.
Un outil de formation des jeunes esprits qui ne manque pas d’imagination
Si le discours général est donc légèrement propagandiste, il ne dérange pas tant que cela le spectateur contemporain puisque les aventures convoquent le merveilleux à de multiples reprises. On aime par exemple les séquences – un peu bis il faut bien l’avouer – avec les souliers magiques ou encore avec le bâton magique. Bien entendu, L’histoire du petit Muck propose des mésaventures un peu naïves et essentiellement destinées aux enfants, mais cela fonctionne plutôt bien grâce à des décors superbes, des couleurs très kitsch chatoyantes et une réalisation efficace pour l’époque. Ainsi, on ne s’y ennuie vraiment pas.
Joué par une armée d’acteurs allemands grimés en Arabes – une pratique habituelle de l’époque que l’on parvient à accepter au bout de quelques minutes d’adaptation – L’histoire du petit Muck profite d’une interprétation juste de la part du petit Thomas Schmidt, bien entouré par des comédiens souvent venus du théâtre. Le long-métrage est donc une vraie petite réussite dans le genre limité du film pour enfants et il continue à distiller ses charmes encore de nos jours. On pense qu’il a sans doute été l’une des inspirations de Terry Gilliam pour ses propres Aventures du baron de Münchhausen (Gilliam, 1988).
L’histoire du petit Muck fut distribué en France uniquement dans le circuit scolaire
Comme le précise Christian Lucas dans le bonus du DVD du film édité par Artus Films, L’histoire du petit Muck a rencontré un énorme succès en RDA en cumulant plus de 13 millions d’entrées. Le conte n’est jamais officiellement sorti en salles en France. Pourtant, il existe bien un doublage français car le distributeur Télédis l’a proposé dans un circuit parallèle : celui du réseau scolaire. Le film n’a donc pas de date de sortie officielle, ni même d’existence en dehors de ce circuit spécifique réservé aux écoles.
La copie proposée par Artus Films est en tout cas de toute beauté et on peut même regretter l’absence de Blu-ray, même si l’on imagine le peu de potentiel commercial d’un tel produit.
Critique de Virgile Dumez
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