Confrontation entre trois monstres sacrés, Les vieux de la vieille est une grosse farce où le surjeu est élevé au rang d’art. Au risque d’être épuisant et finalement stérile.
Synopsis : Trois amis très farceurs quittent leur village et partent s’installer dans une maison de retraite. Pourtant, au grand dam des habitants de la bourgade, ils décident de revenir au village…
Critique : Sorti en 1958, le roman Les vieux de la vieille, écrit par René Fallet, connait un beau succès et trouve immédiatement preneur pour être adapté au cinéma. Il faut dire que l’écrivain entame une véritable histoire d’amour avec l’industrie cinématographique, étant très souvent transposé à l’écran. Le succès du Triporteur en 1957 pousse les producteurs à s’intéresser de près à cet écrivain populaire, parfois même qualifié de populiste. Par la suite, l’auteur sera encore adapté avec Paris au mois d’août (Granier-Deferre, 1966), Un idiot à Paris (Korber, 1967), Le drapeau noir flotte sur la marmite (Audiard, 1971) et bien entendu La soupe aux choux (Giraud, 1981).
En 1960, le roman mettant en scène trois vieillards irascibles tombe dans l’escarcelle de Michel Audiard qui en reprend la trame générale en lui ajoutant bon nombre de dialogues truculents dont il a le secret. Le producteur Jacques Bar engage également Gilles Grangier à la réalisation, histoire de rassurer Jean Gabin, tête d’affiche garantissant plusieurs millions d’entrées sur son seul nom. Grangier et Gabin en sont à leur septième collaboration et les deux hommes connaissent donc les qualités et les limites de leur partenaire.
Pour pouvoir affronter la gouaille de Gabin, il fallait trouver des monstres sacrés à la mesure de l’ogre. Le « vieux » retrouve donc ici Pierre Fresnay, son partenaire mythique de La grande illusion (Renoir, 1937), tout en étant épaulé par le très populaire Noël-Noël (connu dans les années 30 pour son personnage récurrent d’Adémaï, puis pour La cage aux rossignols de Dréville en 1945 et Le père tranquille de René Clément en 1946). La confrontation de ces trois monstres du cinéma français promettait d’être apocalyptique.
Le résultat est toutefois en-deçà des attentes, notamment à cause d’une évidente errance de la mise en scène. Grangier semble avoir laissé le champ libre à son trio d’acteurs, à tel point qu’ils se livrent tous les trois à un extraordinaire numéro de cabotinage. Le terme approprié serait même celui du sur-jeu généralisé. Dans cette escalade sans fin de hurlements, de roulements d’yeux et de bons mots, celui qui paraît le plus sobre est sans aucun doute Noël-Noël, parfaitement à l’aise dans son rôle d’alcoolique pleutre. Jean Gabin en fait des tonnes mais sait rendre les mots d’Audiard percutants. On est nettement moins convaincu par la prestation peu nuancée de Pierre Fresnay, visiblement contraint de hausser le ton pour faire le poids face à ses partenaires.
On ne parlera pas de scénario ici puisque le script se contente d’aligner les saynètes drolatiques mettant en scène les vieux dans leur détestation de l’espèce humaine. Il s’agit donc essentiellement d’un portrait sans concession des ravages de la vieillesse. A revoir aujourd’hui, on constate que les plaintes sont identiques malgré le temps qui passe (à notre époque, on savait s’amuser ; la musique actuelle n’est que du bruit ; le respect se perd ; nous, on a travaillé dur contrairement aux jeunes fainéants etc…). Tous ces clichés sont ressassés par ces vieux cons dont le village voudrait bien se débarrasser.
Si le discours se veut critique envers leur attitude, on sent poindre derrière les dialogues les idées assez réactionnaires d’Audiard, notamment sur les femmes, la jeunesse ou les fonctionnaires. Finalement, le scénariste adopte le point de vue de ces vieux anarchistes de droite et laisse tomber tout élément qui pourrait nous les rendre attachants ou bien pathétiques.
Là où l’on pouvait espérer un brin d’émotion quant à la situation de détresse morale et sentimentale de ces personnes âgées, Gilles Grangier et Michel Audiard ont privilégié la grosse farce et la gaudriole. C’est amusant souvent, irritant parfois, mais toujours anodin, et donc parfaitement oubliable.
Cela n’a pas empêché le film d’être un très gros succès avec presque 3,5 millions d’entrées et une 11ème place sur le podium annuel français.
Critique de Virgile Dumez