Les cinq diables est un drame fantastique qui aborde des thématiques comme le racisme et le rejet de l’altérité avec un sens certain de la nuance. Le tout est magnifié par des actrices formidables. A voir.
Synopsis : Vicky, petite fille étrange et solitaire, a un don : elle peut sentir et reproduire toutes les odeurs de son choix qu’elle collectionne dans des bocaux étiquetés avec soin. Elle a extrait en secret l’odeur de sa mère, Joanne, à qui elle voue un amour fou et exclusif, presque maladif. Un jour Julia, la sœur de son père, fait irruption dans leur vie. Vicky se lance dans l’élaboration de son odeur. Elle est alors transportée dans des souvenirs obscurs et magiques où elle découvrira les secrets de son village, de sa famille et de sa propre existence.
Du racisme ordinaire
Critique : Après avoir suscité la curiosité avec son tout premier long-métrage, le réussi Ava (2017), la réalisatrice et scénariste Léa Mysius a collaboré à l’écriture de plusieurs films d’Arnaud Desplechin (dont Roubaix, une lumière) et est revenue à une écriture plus personnelle avec ce qui allait devenir Les cinq diables (2022). Partie des différents personnages pour finalement construire une histoire complexe, Léa Mysius a surtout mélangé ses influences variées, allant du cinéma français social et psychologique au cinéma de genre américain. Cette hybridation a fini par donner son caractère unique à un film qui est à la fois un drame familial et une œuvre aux accents fantastiques.
Léa Mysius nous présente tout d’abord une famille nucléaire marquée par le métissage. Ainsi, le mari vient du Sénégal – imposant Moustapha Mbengue, tout en force tranquille – et son épouse est une Française qui travaille dans une piscine municipale. Leur petite fille est donc une métisse – formidable Sally Dramé à la présence magnétique – qui a bien du mal à s’intégrer dans ce village de province où le racisme ne s’exprime jamais franchement, mais recouvre tout d’un voile quasiment invisible, mais bien présent.
Les cinq diables propose un fantastique original et rare en France
Arrive un élément perturbateur, à savoir le retour au village de la sœur cadette du mari, qui ne semble pas particulièrement la bienvenue. Un véritable mystère entoure cette personnalité, incarnée avec justesse par la chanteuse Swala Emati et comme le métrage adopte le point de vue de la petite fille, l’on ressent cette présence étrangère comme une menace. Effectivement, la sœur maudite va bouleverser l’équilibre très précaire qui régissait la vie de cette famille, ainsi que de toute la communauté villageoise, porteuse d’un drame qui s’est déroulé dix ans auparavant.
La grande originalité du second long-métrage de Léa Mysius est de donner un statut fantastique aux flashbacks puisque c’est la gamine qui, par un pouvoir extraordinaire lié aux odeurs, peut revisiter les souvenirs de sa mère. Dès lors, la gamine est à la fois le témoin des drames passés, mais aussi une actrice du destin contrarié de sa mère. Dans Les cinq diables, il est donc question de racisme, mais aussi de rejet de la différence en matière de sexualité, puisqu’un amour lesbien est au cœur du drame. Ainsi, le métrage se révèle être une très belle histoire d’un amour impossible qui, pourtant, peut déboucher sur une forme de réconciliation, notamment par-delà les générations.
Un amour lesbien, par-delà le temps
Alors que le film est entièrement centré sur des femmes – et brillamment mené par l’excellente Adèle Exarchopoulos – les personnages masculins ne sont pas dénués d’intérêt, même s’ils demeurent périphériques. Ainsi, le père incarné par Patrick Bouchitey se révèle très ambigu, tandis que le mari joué par Moustapha Mbengue a droit à une scène bouleversante vers la fin, où explose enfin sa sensibilité, pourtant bien dissimulée derrière une apparente apathie durant tout le métrage. Son désarroi éclate de manière émouvante et permet de donner au personnage une vraie profondeur.
Réalisé avec talent par Léa Mysius, le métrage bénéficie d’une superbe photographie de Paul Guilhaume, magnifiée par l’emploi d’une pellicule 35mm au grain si particulier, mais aussi par des paysages alpins magnifiques. Le tout baigne dans une musique électro de Florencia Di Concilio parfaitement en phase avec les images. Les cinq diables est donc une œuvre originale qui confirme tout le bien que l’on pensait du cinéma de Léa Mysius, un talent qui va assurément s’épanouir dans les années à venir.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 31 août 2022
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Léa Mysius, Adèle Exarchopoulos, Patrick Bouchitey, Noée Abita, Daphné Patakia, Swala Emati, Sally Dramé, Moustapha Mbengue