Film d’une belle sobriété, Le terroriste s’interroge avec pertinence sur l’action politique en temps de guerre et bat en brèche l’idée d’une population italienne favorable à la résistance au nazisme. Il s’agit donc d’une œuvre importante sur le plan historique.
Synopsis : Venise, hiver 1943. La Résistance italienne prépare une attaque contre le siège de la Kommandantur. Un homme, surnommé l’Ingénieur, joue un rôle central dans ce plan.
Un premier film aux accents autobiographiques
Critique : Au début des années 60, le metteur en scène de théâtre Gianfranco De Bosio est déjà une pointure dans son domaine. Il a notamment mis en scène pour la première fois en Italie des pièces de Brecht et pratique donc un théâtre qui marie à la perfection innovation et classicisme. Vers 1960, le producteur Tullio Kezich crée avec Ermanno Olmi sa propre compagnie nommée 22 Dicembre et propose à De Bosio d’écrire un scénario tiré de son expérience dans la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, s’engageant à le produire. Une fois le script de Le terroriste (1963) validé, une coproduction est montée avec la France – d’où la présence au générique de Philippe Leroy et d’Anouk Aimée – afin de parvenir à tourner dans une relative aisance dans les rues et canaux de Venise, lieux principaux de l’action.
Effectivement, dans Le terroriste, le cinéaste a mélangé plusieurs éléments réels, mais en déplaçant parfois les lieux afin de ne pas se livrer à une pure autobiographie. Ainsi, alors qu’il a été membre du CNL ou Comité de Libération Nationale situé à Vérone, il a préféré déplacer l’action à Venise et évoquer ainsi l’attentat de Ca’ Giustinian intervenu en juillet 1944 auquel il n’a pas personnellement participé.
Une œuvre plus réaliste sur la résistance, et donc à rebours de son temps
En fait, à l’époque de la production du Terroriste, le cinéma italien commençait tout juste à évoquer la dure période du fascisme, et surtout celle de l’invasion nazie du nord du pays à partir de juillet 1943 (qui a donné lieu à la création de la République fantoche de Salò). Mais contrairement au film de De Bosio, les productions d’alors mettaient toujours l’accent sur l’esprit de résistance du petit peuple, tout en chargeant de tous les maux les chemises brunes et les nazis. Pour son premier long métrage, Gianfranco De Bosio ose se placer à un autre niveau, ce qui n’a pas été du tout compris par le grand public de l’époque qui en a fait un cuisant échec commercial.
© 1963 Editoriale Cinematografica 22 Dicembre, Cinématographique Lyre / Affiche : Vincent Wild Design. Tous droits réservés.
Certes, Le terroriste démarre comme un classique film de guerre, avec la réalisation d’un attentat et même un certain suspense pour savoir si les résistants menés par Philippe Leroy vont parvenir à faire sauter la Kommandantur située dans un palais vénitien. Mais après ce premier quart d’heure, le film semble abandonner les personnages pour pénétrer au cœur des négociations politiques entre les différentes factions du CNL. Dès lors, Le terroriste montre sa vraie nature de film d’auteur uniquement intéressé par son propos politique et non par une quelconque émotion primitive destinée au grand public.
Une plongée passionnante au cœur des tractations entre résistants
Pour peu que l’on s’intéresse à l’histoire italienne, mais aussi aux tractations politiques, Le terroriste est une œuvre gonflée et passionnante qui tend à déconstruire la vision idéalisée de la Résistance italienne. Tout d’abord, le cinéaste insiste sur le fait que les membres actifs sont finalement peu nombreux au cœur d’une Italie grandement gagnée au fascisme. Ensuite, il démontre avec brio qu’il était très difficile pour les différentes formations politiques de s’entendre sur la méthode à employer pour se débarrasser des nazis et du fascisme.
Nous sommes ici témoins des tractations entre les plus modérés (les Démocrates Chrétiens) et les plus radicaux (le Parti communiste). Mais le cinéaste se pose également une question morale importante : est-ce que l’on peut légitimement avoir recours au terrorisme pour se débarrasser d’un tyran ou est-ce que la vie d’innocents compte davantage ? Si le cinéaste ne répond pas vraiment à la question, on sent qu’il se sent finalement très proche de l’électron libre qu’est le terroriste.
Et si le fascisme était définitivement de retour ?
Outre cette entorse à la morale chrétienne, Gianfranco De Bosio ose montrer la Résistance comme une organisation complexe, pleine de contradictions, à l’image de celle que l’on a connu en France. Pour interpréter son personnage principal, De Bosio a eu l’excellente idée d’engager le comédien très engagé à gauche Gian Maria Volonté qui n’était pas encore connu du grand public. Ce dernier est d’une parfaite sobriété et incarne à la perfection cet esprit de résistance qui semble inflexible, mais qui ne cesse de douter de son action.
Lors d’une très belle scène intimiste avec Anouk Aimée, le personnage délivre même un message qui semble directement s’adresser au public italien du début des années 60 et qui les prévient du retour insidieux du fascisme. Une prédiction qui prend encore plus de valeur en 2025 lorsque l’on sait qui est à la tête de la péninsule actuellement.
Réalisé avec beaucoup de rigueur par un Gianfranco De Bosio qui n’est pas là pour en mettre plein la vue, Le terroriste est avant tout l’œuvre d’un intellectuel qui réfléchit sur ce que veut dire l’action politique en temps de guerre. Il le fait avec pudeur, un beau sens du cadre et un noir et blanc tout à fait séduisant. D’ailleurs, le long métrage a reçu le Prix de la critique lors de sa présentation à la Mostra de Venise en 1963. Malheureusement, le public italien n’était pas disposé à entendre la vérité historique brute et le film a été un cuisant échec commercial.
Le terroriste, un film passé inaperçu un peu partout en son temps
En France, il est sorti en toute discrétion le 27 mai 1964, mais il ne semble guère avoir suscité de réactions. Il n’y a guère eu que la critique pour saluer ce long métrage comme nous l’indique celle de La Saison Cinématographique 1965 où Hubert Arnault écrit ces lignes très justes :
Le style de De Bosio a une intense sobriété dans l’agencement de l’action. Son récit accapare l’attention et ménage temps forts et temps faibles avec un habile dosage. Ce premier long métrage annonce un nouveau grand cinéaste italien.
N’ayant fait l’objet que d’une unique sortie en VHS aux Editions Montparnasse en 1993, le film est resté longtemps dans l’oubli avant une magnifique restauration 4K intervenue vers 2020. C’est cette version qui a été reprise en salles dès le 27 novembre 2024, avant d’être proposée dans une superbe édition DVD / Blu-ray par Rimini au mois de juin 2025.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 27 mai 1964
Acheter le film en DVD / blu-ray
Voir le film en VOD
© 1963 Editoriale Cinematografica 22 Dicembre, Cinématographique Lyre / Affiche : Xarrié. Tous droits réservés.
Biographies +
Gianfranco De Bosio, Anouk Aimée, Gian Maria Volonté, José Quaglio, Carlo Bagno, Philippe Leroy, Raffaella Carrà
Mots clés
Cinéma franco-italien, La Seconde Guerre mondiale au cinéma, Le terrorisme au cinéma, Restauration 4K