Avec Le ciel rouge, Christian Petzold confirme sa place singulière au cœur du cinéma d’auteur allemand, affichant un ton à la fois planant et grave sur une intrigue apparemment plus légère. Un grand prix du jury à Berlin mérité.
Synopsis : Une petite maison de vacances au bord de la mer Baltique. Les journées sont chaudes et il n’a pas plu depuis des semaines. Quatre jeunes gens se réunissent, des amis anciens et nouveaux. Les forêts desséchées qui les entourent commencent à s’enflammer, tout comme leurs émotions. Le bonheur, la luxure et l’amour, mais aussi les jalousies, les rancœurs et les tensions. Pendant ce temps, les forêts brûlent. Et très vite, les flammes sont là.
Un film d’été, marqué par une certaine anxiété
Critique : Alors qu’il était immobilisé dans son lit à cause de la Covid-19, le réalisateur Christian Petzold a songé embrasser un nouveau genre, à savoir le film d’été. Désireux de tourner un métrage à l’économie, avec un casting resserré et peu de techniciens, le cinéaste a donc écrit une comédie dramatique centrée sur l’été de jeunes gens à la croisée des chemins au cœur de leur existence. Comme référence, Christian Petzold cite notamment les œuvres lumineuses d’Eric Rohmer, mais il songeait aussi à tout un pan de cinéma populaire français (on peut citer dans ce genre Les petits mouchoirs de Guillaume Canet), ainsi qu’à son équivalent américain.
Pourtant, malgré la référence au cinéma de Rohmer, on ne retrouve aucunement la légèreté, ni les marivaudages de l’auteur de Conte d’été (1996) dans Le ciel rouge (2023). Bien plus inquiet, le cinéma de Christian Petzold ne peut se résoudre à évoquer les amours d’un été entre quatre personnages qui n’auraient pas dû se rencontrer. Ainsi, dès le début, il fait planer sur son œuvre la menace d’un feu de forêt qui semble isoler la région où les quatre jeunes gens passent des vacances en principe studieuses. De même, lorsque le personnage principal du jeune écrivain prétentieux arrive sur les lieux, il commence par s’égarer dans la forêt, métaphore de l’angoisse d’un créateur qui ne se sent jamais à sa place nulle part.
Derrière la légèreté plane l’ombre d’une menace
Par la suite, Leon (très bon Thomas Schubert, dans un rôle ingrat de râleur égoïste) va faire la rencontre imprévue avec Nadja (Paula Beer, le personnage lumineux du film) qui l’amène à se poser des questions sur sa place dans le monde et son rapport aux autres. Pendant une grande partie du long-métrage, Christian Petzold n’épargne pas son personnage masculin principal qui se prend pour un grand écrivain et un homme important, toisant le reste de l’humanité de sa supériorité supposée.
© 2023 Schramm Film – ZDF/Arte / Les Films du Losange. Tous droits réservés.
On adore notamment le déjeuner où il humilie de manière très consciente le jeune sauveteur qui est venu partager un bon moment avec des gens de son âge. Petit à petit, Leon va être contraint de sortir de sa bulle protectrice et de se confronter au monde réel. Celui-ci prendra la forme de l’amour à travers le personnage de Nadja, mais aussi d’un terrible drame qui intervient à un quart d’heure de la fin. Le cinéaste, qui livrait jusque-là une œuvre dépouillée de tout artifice, jusque dans sa photographie très naturaliste, se permet quelques plans plus esthétiques, avec le fameux ciel rouge du titre causé par l’incendie destructeur.
Le ciel rouge n’est pas exempt de poésie, notamment à l’aide de sa bande-son
Bien entendu, Le ciel rouge peut aussi se voir comme une métaphore d’un monde à feu et à sang, menacé par les bouleversements climatiques tandis que les populations privilégiées des pays riches préfèrent se regarder le nombril. Cette dimension plus politique est tout aussi passionnante à envisager, sachant que le cinéaste n’en fait aucunement un étendard et qu’il laisse le spectateur libre d’en penser ce qu’il veut. Effectivement, dans Le ciel rouge, tous les éléments sont suggérés et jamais surlignés par un cinéaste passé maître dans son art depuis maintenant plus de quinze ans.
Pour soutenir l’émotion à fleur de peau de son long-métrage, Christian Petzold a eu l’excellente idée de proposer une musique intra diégétique planante. Ainsi, la très jolie chanson In my Mind, du groupe électro-pop Wallners, séduit immédiatement l’oreille et vient illustrer à merveille les hésitations sentimentales des différents protagonistes, ajoutant même une touche de poésie. Il s’agit assurément d’une belle idée qui a contribué au succès du film lors de sa présentation au Festival de Berlin de 2023. Le ciel rouge a notamment décroché le Grand prix du jury de cette manifestation ô combien importante.
Sorti le mercredi 6 septembre 2023 sur 142 écrans français, Le ciel rouge a trouvé 4 033 amateurs de cinéma d’art et essai lors de sa première journée. Un résultat plutôt honorable, même si on est loin des grands succès du cinéaste que furent autrefois Barbara (2012) et Phoenix (2014). Au bout d’une semaine, le film attirait 27 500 nostalgiques de l’été passé. Le métrage parviendra tout juste à doubler ses chiffres au bout de ses neuf semaines d’exploitation, preuve d’une bonne tenue et d’un bouche à oreille correct. Le métrage a mis le feu à 59 660 cœurs solitaires.
Critique de Virgile Dumez
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Christian Petzold, Paula Beer, Thomas Schubert
Mots clés
Cinéma allemand, Comédie dramatique, Les vacances au cinéma, Les écrivains au cinéma, Le feu au cinéma