Comédie délicieusement impertinente, L’auberge rouge demeure un modèle d’humour noir, porté par un Fernandel au meilleur de sa forme. Sans aucun doute l’un de ses meilleurs films.
Synopsis : En 1833, à l’auberge de Peyrebeille, perdue en montagne, Marie et Pierre Martin, un couple d’aubergistes, assassinent leurs clients pour les voler. Les voyageurs d’une diligence descendent à l’auberge, bientôt suivis par un moine bon vivant. Or, la femme Martin éprouve le besoin de se confesser au saint homme. A sa grande horreur, elle lui avoue la bagatelle de cent trois crimes. Le moine, lié par le secret de la confession, va cependant s’employer par tous les moyens à sauver les voyageurs…
Fernandel en pleine comédie irrévérencieuse
Critique : En 1950, les producteurs français souhaitent tous profiter du centenaire de la mort de l’écrivain Honoré de Balzac pour adapter une de ses œuvres au cinéma et profiter ainsi d’une belle visibilité auprès du grand public. On propose alors au réalisateur Claude Autant-Lara d’adapter L’auberge rouge qui avait déjà fait l’objet d’une célèbre version par Jean Epstein en 1923. Si Autant-Lara accepte dans un premier temps la besogne, il ne voit guère d’intérêt à adapter une fois de plus cette histoire. Aussi prend-il la décision majeure de ne conserver de l’œuvre de Balzac que le titre et de s’inspirer de la célèbre affaire de Peyrebeille dans l’Ardèche (vers 1830), où des aubergistes auraient tué une cinquantaine de voyageurs – version des faits sans aucun doute très largement exagérée par les rumeurs.
Pour mener à bien la rédaction du script, Autant-Lara s’entoure du duo Jean Aurenche et Pierre Bost avec qui il a l’habitude de travailler depuis les années 30. Ceux-ci mettent au point un scénario particulièrement retors et très irrévérencieux envers l’Église. Ils parviennent pourtant à convaincre la star du rire Fernandel de se joindre à l’aventure. L’acteur continue à attirer le public dans les salles au cours des années 40, mais il recherche une forme de légitimité artistique que peut lui apporter L’auberge rouge qu’il considère comme un projet plus risqué.
Une charge corrosive contre l’Église
Pour autant, le tournage ne fut pas de tout repos puisque Fernandel ne semble pas avoir apprécié le ton de plus en plus irrévérencieux pris par le réalisateur, avec qui il se fâche durant les prises de vue. Le comique s’est senti trahi dans ses convictions religieuses personnelles et n’a jamais aimé le long-métrage, alors qu’il s’agit sans aucun doute de l’un de ses meilleurs. Alors qu’une large partie de sa filmographie est constituée de comédies insipides et tout bonnement indignes de son talent, L’auberge rouge conserve aujourd’hui toute sa puissance corrosive grâce à l’humour noir déployé par le réalisateur.
Il ne faut toutefois pas négliger l’apport essentiel de Fernandel dans la dynamique comique du long-métrage. Effectivement, c’est bien l’acteur qui fournit l’essentiel des passages hilarants du film grâce à son abattage comique imparable. Il est tout bonnement phénoménal dans le rôle de ce moine malin et jouisseur. L’homme d’Église professe à longueur de temps des vérités ecclésiastiques tout en se comportant de manière intéressée. Certes, la charge n’est plus aussi virulente de nos jours, mais il faut se replacer dans le contexte de la France du début des années 50 encore très croyante pour mieux appréhender les aspects scandaleux du film.
Autant-Lara crache sa bile sur le monde entier
Doté d’un humour noir ravageur qui n’épargne absolument personne (les élites sont systématiquement ridiculisées, les pauvres ne sont que des êtres méprisables), L’auberge rouge déploie pour notre plus grand bonheur une misanthropie qui prendra de plus en plus de place au sein de l’œuvre d’Autant-Lara. Notons également que la présence d’un personnage noir systématiquement appelé le nègre ne doit aucunement être vu comme une preuve de racisme (même si le cinéaste fut plus tard engagé auprès de mouvements d’extrême droite), mais bien comme un élément banal à l’époque. Cela n’excuse en rien le mépris affiché pour ces gens de couleur, mais cela se comprend dans le contexte de la France du début des années 50.
Le long-métrage bénéficie d’un scénario très bien huilé, de situations cocasses vraiment drôles, de superbes décors réalisés en studio et d’acteurs inspirés, dont les inénarrables Françoise Rosay et Julien Carette en couple assassin. Enfin, le plan final vient clore de manière magistrale une œuvre délicieusement impertinente.
Un très gros succès pour une excellente comédie devenue un classique
Lors de sa sortie, L’auberge rouge s’est fait descendre par les critiques – comme souvent avec Autant-Lara – mais le grand public a répondu présent avec plus de 2,6 millions de spectateurs dans les salles. Un score habituel pour Fernandel qui attirait toujours le public provincial. On notera enfin que le long-métrage a fait l’objet d’un remake éponyme réalisé en 2007 par Gérard Krawczyk avec Christian Clavier, Josiane Balasko et Gérard Jugnot. Ce dernier s’est fait étriller par la critique et a connu un échec public conséquent.
Critique de Virgile Dumez