Plus qu’un énième film woke sur la victimisation de la femme à travers les époques, Last Night in Soho est un thriller habile, magistralement réalisé par Edgar Wright. Le réalisateur de Shaun of the Dead et Baby Driver y manifeste une grande inspiration.
Synopsis : Une jeune fille, passionnée par la mode, parvient mystérieusement à voyager dans les années 1960 où elle rencontre son idole, une éblouissante chanteuse en devenir. Mais le Londres des années 1960 n’est pas ce qu’il paraît, et le temps semble se désagréger avec d’obscures conséquences.
Woke me if you can
Critique : Sur un poncif woke – la femme a été outragée de tout temps, y compris lors des ères où jusqu’ici elle paraissait s’émanciper -, Edgar Wright réussit son coup.
Le réalisateur de films essentiellement masculins, à la fanbase trop axé sur le genre dominant, s’érige en cinéaste désormais mi-repentant, et s’essaie au thriller féministe. Une première.
Last Night in Soho n’est pas une réappropriation nostalgique des Swinging Sixties, cette époque de liberté décrite comme la plus belle ère londonienne, une évocation de fantaisie, de mode et de pop, de légèreté et de bonheur métro-généralisé. Le film est bel et bien une énième évocation de la condition féminine maltraitée qui forcément vient ternir l’extravagance de cette époque.
Last Night in Soho, film de la maestria pour Edgar Wright
La cause est noble, mais a priori tend à faire sourire dans la systématisation radicale des scripts des années 2020. Néanmoins, là où beaucoup d’auteurs fond le minimum syndical dans le traitement ronflant du sujet, Edgar Wright a le mérite de transcender le script et ses personnages par la maestria de sa réalisation et de sa narration entièrement construite sur des ponts entre l’époque contemporaine de l’héroïne jouée par la fragile Thomasin McKenzie et celle des années 60, qu’incarne avec plus de brio l’enthousiasmante car trouble Anya Taylor-Joy.
Associé à la scénariste inspirée Krysty Wilson-Cairns (Penny Dreadful), Edgar Wright joue les virtuoses à brouiller les pistes en prenant le temps de poser ses personnages dans un cadre iconique (le Londres contemporain idéalisé par les jeunes et sa grande époque des années 60). Il filme beau, jouant des tonalités giallesques par moment, pour nourrir son œuvre d’un voile de mystère complet. Le script harmonieux regorge de bonnes idées qui prennent vie à l’écran : confusion des présents, jeux des reflets, transitions fulgurante entre l’onirisme fusionnel et le cauchemar fulgurant…
Une narration trouble et paranoïaque
Le plaisir de découvrir l’intrigue au fil des images léchées est patent et l’on se demande où l’auteur, souvent taxé de geek pataud dans le passé, veut nous mener. Peu à peu, les genres s’entremêlent. Au récit initiatique adolescent féminin peu enthousiasmant des premières séquences se succèdent cinéma noir, thriller, fantastique puis horreur. Chaque touche s’inscrit dans une montée paroxysmique jusqu’au rebondissement final qui impose une relecture bienvenue du script, alors qu’elle aurait pu virer aigre.
L’emphase des derniers instants peut, certes, réduire l’impact émotionnel pour favoriser l’efficacité commerçante, mais ce sont aussi les derniers moments cinématographiques de l’actrice Diane Rigg, ex-James Bond girl et ex-Emma Peel dans la série Chapeau melon et bonnes de cuir. La sortie de Last Night in Soho est en effet posthume, pour cette grande dame, décédée un an avant la première du film à Venise 2021.
Au final, l’intrusion d’Edgar Wright dans le pamphlet féministe est pertinente. Elle échappe à la fadeur des avatars thématiques à la Netflix pour fournir une œuvre dense, généreusement cinématographique. Plus consistant pour les adultes que sa bande-son adolescente creuse qu’était le générationnel Baby Driver en 2017, Last Night in Soho s’impose comme un grand divertissement dans sa filmographie.
Sorties de la semaine du 27 octobre 2021
Biographies+
Edgar Wright, Terence Stamp, Diana Rigg, Thomasin McKenzie, Anya Taylor-Joy, Matt Smith, Synnøve Karlsen, Michael Ajao