Dernier film du cycle Poe initié par Roger Corman, La tombe de Ligeia souffre d’un rythme languissant et d’une réalisation atone, malgré des intentions louables. Décevant.
Synopsis : Verden Fell, un noble obsédé par son ancienne femme Ligeia, croit que sa nouvelle épouse est possédée par l’esprit infâme de la précédente à laquelle il avait promis la vie éternelle…
Critique : Lorsque le réalisateur et producteur Roger Corman aborde la confection de La tombe de Ligeia (1964), il vient de remporter de nombreux succès commerciaux avec un cycle de films consacrés à l’auteur Egdar Allan Poe. Débuté en 1960 avec La chute de la maison Usher (1960), ce corpus vient de trouver son point d’orgue avec le magnifique Le masque de la mort rouge (1964) qui est, de loin, la plus belle réussite thématique et formelle de cette série de longs-métrages.
Un tournage en Angleterre dans des paysages naturels
Soucieux de ne pas se répéter, Roger Corman engage un nouveau scénariste, le jeune Robert Towne, pour adapter une courte nouvelle de Poe mettant en scène le personnage féminin de Ligeia. Comme l’avoue Roger Corman dans un entretien du 23 août 1964 publié dans Midi-Minuit Fantastique volume 2, Rouge profond, page 650 :
Nous avons travaillé comme nous en avons l’habitude, c’est-à-dire que nous avons conservé l’esprit de l’œuvre originale et que nous avons bâti autour notre propre histoire. Je crois que Ligeia sera l’adaptation la plus fidèle, quant à l’esprit. […] J’avais travaillé sur le script avec Bob Towne – dont c’est la première expérience sur la série Poe.
Par contre, Roger Corman a eu peur de se répéter et a choisi d’introduire une nouveauté au sein de son habituel système de production, comme il l’indique dans le même entretien (page 649) :
Pour Ligeia, au contraire, j’ai utilisé pour la première fois dans la série Poe des décors naturels. J’en avais assez de ces décors brumeux et j’avais un peu peur de me répéter. […] Avec Ligeia, j’ai recherché une approche typiquement gothique. J’ai trouvé une vieille abbaye près de Norfolk et nous y avons tourné nos extérieurs, mais je ne sais pas encore si mes théories sont justes, s’il est bon d’introduire des éléments de réalisme dans ces films.
Enfin, Roger Corman insiste sur sa volonté initiale en déclarant :
Et puis Ligeia, de tous mes films, est le plus proche d’une véritable histoire d’amour […] Je pense pouvoir définir Ligeia en disant que c’est une histoire d’amour gothique.
La tombe de Ligeia sonne la fin d’un cycle
Effectivement, La tombe de Ligeia a bien été tourné en Angleterre dans des décors naturels, avec à la photographie un certain Arthur Grant qui a notamment éclairé de nombreux films gothiques de la Hammer. Tout semblait donc réuni pour faire du long-métrage un nouveau jalon dans la longue série Poe. Malheureusement, le but recherché n’a été atteint qu’en partie. En réalité, Roger Corman, au moment du tournage, vient de signer un important contrat à la Columbia qui lui offrait l’occasion de passer enfin à la vitesse supérieure, avec notamment des budgets plus conséquents.
Visiblement, le film semble avoir souffert de cette envie de Corman de passer à autre chose. Ainsi, La tombe de Ligeia semble avoir été réalisé dans le but de satisfaire des exigences purement commerciales sans que le réalisateur ne s’y implique outre mesure. Alors que la réalisation du Masque de la mort rouge est racée et soignée, celle de La tombe de Ligeia paraît plus mécanique, comme en mode automatique. Certes, le réalisateur s’ouvre sur des décors naturels, mais il ne semble pas soigner la réalisation des intérieurs, avec un enchaînement de plans fonctionnels et peu inspirés.
Des acteurs sans réels personnages à défendre
Visiblement laissé à l’abandon, Vincent Price ne semble pas très à l’aise et livre également une prestation sans grande saveur, tandis qu’Elizabeth Shepherd n’a guère de présence à l’écran. Elle est pour beaucoup dans l’échec du long-métrage puisqu’elle n’est guère crédible dans un double rôle qui l’oblige à être à la fois séduisante et menaçante. Bien entendu, Edgar Allan Poe paraît bien loin de tout ceci et ce n’est pas l’introduction d’un chat noir machiavélique, vecteur du mal, qui suffit à donner chair à une histoire gothique à la Poe.
L’échec principal de ce tout dernier film d’un cycle en voie d’épuisement total tient aussi dans sa présentation maladroite de personnages auxquels on ne peut s’attacher. La première heure souffre également d’un rythme languissant qui témoigne de la minceur du sujet abordé. La volonté de Corman de tourner en plein jour vient en outre contredire l’atmosphère générale d’une intrigue qui se voudrait sombre. Là où Le masque de la mort rouge proposait une réelle réflexion philosophique, La tombe de Ligeia n’a guère qu’un vague sous-texte psychanalytique à offrir au spectateur, ce qui s’avère un peu léger. Toutefois, il faut signaler que la dernière demi-heure est de meilleure tenue, avec quelques bons rebondissements et une tension qui s’invite le temps de quelques scènes.
Un film regardable, mais jamais enthousiasmant
Le spectateur ressent donc à travers le long-métrage la lassitude d’un réalisateur qui avait visiblement fait le tour de la question. Corman lui-même déclarait lors du même entretien :
Dans un an, sans doute, reviendrai-je à Poe, mais pour l’instant je n’ai pas l’intention de m’y remettre.
En fait, Roger Corman ne reviendra plus à Poe – sauf en tant que producteur bien plus tard – et La tombe de Ligeia peut donc être considéré comme une fin de cycle, ni catastrophique, ni mémorable. On notera que le film n’a été diffusé en France que quatre ans après sa réalisation et n’a réuni dans les salles obscures de l’Hexagone que 114 017 spectateurs, un score très moyen, mais constant par rapport aux derniers films du cycle Poe.
Critique de Virgile Dumez