Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles : la critique du film (1976)

Drame | 3h20min
Note de la rédaction :
9/10
9
Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles, affiche du film

  • Réalisateur : Chantal Akerman
  • Acteurs : Delphine Seyrig
  • Date de sortie: 21 Jan 1976
  • Année de production : 1975
  • Nationalité : Belge
  • Titre original : Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles
  • Titres alternatifs : Jeanne Dielman
  • Autres acteurs : Jan Decorte, Henri Storck, Jacques Doniol-Valcroze, Yves Bical
  • Scénariste : Chantal Akerman
  • Monteuse : Patricia Canino
  • Directeur de la photographie : Babette Mangolte
  • Compositeur :
  • Chef Maquilleur : Eliane Marcus
  • Réalisateur du Making-of : Sami Frey
  • Directeur artistique : Philippe Graff
  • Producteurs : Evelyne Paul, Corinne Jenart, Alain Dahan, Guy Cavagnac, Paul Vecchiali, Liliane de Kermadec
  • Sociétés de production : Paradise Films (Bruxelles), Unité Trois (Paris)
  • Distributeur : Olympic Distribution
  • Distributeur reprise : Carlotta Films (2007), Capricci (2023)
  • Dates de reprise : 25 avril 2007, 19 avril 2023
  • Editeur vidéo : Carlotta (double DVD, France), Criterion (Blu-ray, USA)
  • Date de sortie vidéo : 18 avril 2007 (DVD, Carlotta)
  • Budget :
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 31 778 entrées / 21 054 entrées
  • Box-office France / Paris-Périphérie (reprise 2007) : 313 entrées / 313 entrées
  • Box-office France / Paris-Périphérie (reprise 2023) : 4 172* / 1 840 entrées* (* en cours d'exploitation)
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.66 : 1 / Couleur (35mm? Restaurée en 2K DCP)
  • Festivals : Sélection Officielle Venise 1975, Toronto International Film Festival (1976), Buenos Aires International Festival of Independent Cinema (2005), Athens Film Festival (2015), Transilvania International Film Festival, Roumanie (2016), Sydney Film Festival (2016), International Film Festival Rotterdam (2020), New Horizons International Film Festival (2021), Vilnius International Film Festival (Lituanie), Istanbul Film Festival (2023)
  • Nominations :
  • Récompenses : 2 Prix au Faro Island Film Festival (Meilleur Film, Meilleure actrice)
  • Illustrateur/Création graphique : © Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © Paradise Films, Unité Trois. Tous droits réservés / All rights reserved
  • Attachés de presse : Loris Dru-Lumbroso
  • Tagline : "Le meilleur film de tous les temps", Sight and Sound
Note des spectateurs :

Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman est une effroyable réflexion sur l’aliénation enfantée par la routine et la solitude qui gangrénait la ménagère des années 70. Filmé en temps réel, du cinéma vérité à redécouvrir de toute urgence.

Synopsis : Veuve ordonnée et mère d’un adolescent, Jeanne arrondit ses fins de mois en se prostituant à domicile, calant ses rendez-vous entre ses tâches ménagères, selon un emploi du temps immuable, répété jour après jour. Un matin, le réveil sonne une heure plus tôt et dérègle cette mécanique sans vie, libérant d’un coup toute l’angoisse refoulée… *

Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles et l’audace de l’expérimental

Critique : En 1975, Chantal Akerman, cinéaste belge au regard inattendu, décrivait le morne quotidien d’une ménagère, Jeanne Dielman à travers de longs plans fixes remarquablement cadrés, comme une toile d’Edward Hopper où la solitude des protagonistes était d’autant plus grande que les lignes environnantes les emprisonnaient dans leur espace.

Un film de la répétition post Marxiste. La femme rempile aux tâches ingrates à la maison. Un deuxième métier en soi, non payé. La répétition inlassable des scènes de repas et de leur préparation, de repassage ou de toilette, marque toute l’aliénation d’une mère au quotidien vide de sens et de mots. L’industrialisation et l’asservissement des travailleurs sont passés par là. Pour la femme, c’est double peine.

Delphine Seyrig dans Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles

© Fondation Chantal Akerman, Cinematek, Capricci. Tous droits réservés.

Le silence des repas avec son fils, l’absence d’amis qui la terre dans le mutisme contraint et le peu de loquacité des clients de passage qu’elle utilise pour arrondir ses fins de mois sont éloquents dans son sinistre appartement où tout est bien trop propre et rangé. Aussi, quand elle lit une lettre de sa sœur à son adolescent de rejeton, elle dévore les mots, goulûment, sans pouvoir s’arrêter entre chaque phrase, comme saisie de frénésie dans son envie de dire. Chantal Akerman ne lisait-elle pas les lettres de sa mère, de cette façon, à New York, comme l’évoque son documentaire News from Home ?

Jeanne Dielman souffre d’une indicible frustration existentielle, du rejet de la vie à laquelle elle n’appartient plus, indicible de par son statut social qui rend sa condition d’autant plus difficile. Une Desperate housewife avant l’heure, cloîtrée dans les souvenirs, notamment ceux de son mari auquel elle renvoie de temps à autre son enfant.

Jeanne est un donc personnage tragique emmuré dans le néant nihiliste d’une existence qui ne peut que la mener à un drame spontané qui lui apportera la rupture tant attendue, dans le dérèglement de l’instant, ce que la fin du film ne manque pas de nous apporter. Inévitablement. Chantal Ackerman trouve dans cette femme un miroir à une condition, son oeuvre, ses interviews, pointeront la condition de sa mère, mais c’est bien d’elle dont il s’agit déjà. L’enfermement est omniprésent chez l’autrice qui ira, des décennies plus tard, jusqu’à aller adapter La Prisonnière de Marcel Proust (La captive, 2020).

Delphine Seyrig, inoubliable dans la mécanique rouillée du quotidien

Dans le rôle de Jeanne Dielman, des décennies après, Julianne Moore aurait été parfaite. Déjà dans The Hours de Stephen Daldry (2002), la star américaine incarnait à sa façon Jeanne Dielman. Et puis, il y avait eu Genra Rowlands, magnifique dans Une femme sous influence, une autre Jeanne Dielman qui n’influencera pas Ackerman, les deux oeuvres ont été tournées en même temps et sont sortis dans les mêmes mois de 1974-75.

Dans Jeanne Dielman 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles (la numérologie est évocatrice quant à l’aspiration à la liberté de la protagoniste, et le mot même de Commerce est si prégnant de sens), Delphine Seyrig incarne la mécanique de la ménagère avec une grâce providentielle. Actrice symbole de la Nouvelle Vague, passée de Resnais à Demy, elle reflète à la perfection la fascination masochiste de la réalisatrice et finalement du spectateur pour les fragments de vie qu’elle incarne. Une femme miroir pour Chantal Akerman, mais dont le film exprime ses propres convictions et combats féministes qu’elle fera siens jusqu’à sa mort, au début des années 90.Delphine Seyrig dans Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles

© Fondation Chantal Akerman, Cinematek, Capricci. Tous droits réservés.

Seyrig la magnifique joue la monotonie et la dépression. Des instants tellement infimes et anecdotiques de l’époque qu’ils en deviennent des armes puissantes contre le patriarcat. Akerman, sans demi-mesure, expérimente dans la radicalité d’un réalisme quasi documentaire en filmant la palpabilité du temps. Celui-ci s’étale pendant plus de trois heures, mettant à mal les canons du cinéma traditionnel, formatés dans leur durée et dans leur narration. Débarrassée du joug de ces contraintes, la cinéaste belge ose aller jusqu’au bout, suscitant curiosité et adhésion là où d’autres n’auraient commis que l’ennui. Sa fausse absence de technicité, remplacée par une parole par l’image et le cadrage, inspirera bien des cinéastes, dont Gus Van Sant, avec Last Days (2005), dont l’histoire s’inspire des derniers jours de Kurt Cobain, avant son suicide.

En 2022, Sight & Sound, revue britannique mythique, propose son classement décennal des meilleurs films de l’histoire du cinéma. Cette synthèse des classements de ceux qui font le cinéma d’auteur, classe Jeanne Dielman 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles. Dans l’ère du temps, il fallait une femme à cette position pour marquer une rupture post-#MeToo totale. Le choix, loin d’être courageux, est surtout une évidence. La tragédie humaine de Jeanne Dielman est une expérience immanquable qui représente un sommet dans la longue carrière de Chantal Akerman, qui s’est suicidée en 2015. Ce récit de femme représente surtout un éminemment sommet dans le 7e art sur lequel plus personne ne pourra revenir.

Un chef d’oeuvre.

Frédéric Mignard

Les sorties de la semaine du 19 avril 2023

Box-office :

Film d’art et essai, de par sa réalité filmique, Jeanne Dielman 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles dure 3h20, avec toutes les contraintes que cela implique pour les séances.

Aussi, le film ne connaîtra qu’une carrière à l’écart du cinéma mainstream à sa sortie, en janvier 1976, avec une sortie parisienne réduite à deux écrans, l’Hautefeuille et la salle de Frédéric Mitterrand, l’Olympic. En réalisant 4 593 entrées en première semaine dans ce contexte, l’intérêt autour de cet objet médiatique a porté. En deuxième semaine, le film radical de Chantal Akerman gagne un écran, le France Elysées, de quoi séduire à peu près le même nombre de spectateurs (total de 8 905). Le film apparaît alors en 45e position du top national, sans aucun écran en province.

En troisième semaine, Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles perd une salle et continue de jouer dans les cinémas exigeants que sont l’Hautefeuille et l’Olympic, donc dans le Quartier Latin. Le bouche-à-oreille favorable permet à cette détresse de la vie quotidienne d’émouvoir encore 3 389 spectateurs. On ajoutera 3 166 spectateurs en 3e semaine (l’Artistic Voltaire se joint aux deux sites). Sur ces 3 écrans se jouera une cinquième semaine favorable, à 2 824 spectateurs.

En 6e semaine, l’Olympic de Frédéric Mitterrand le programme une dernière fois (532 entrées) et le Hautefeuille est encore au-dessus des 1 000 tickets. Jeanne console 1 632 ménagères esseulées.

Chantal Akerman voit son film rétrograder dans une salle de 167 fauteuils au Hautefeuille en 7e semaine, pour 931 spectatrices en quête d’une réponse artistique à leur propre mal.

Au total, on dénombre 21 054 spectateurs à Paris, aucun en périphérie et à peine 10 724 Provinciaux. La capitale, fer de lance du mouvement féministe en France, compte pour 66% de l’exploitation du film en France.

Affiche originale de Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles

Affiche originale de Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles © Fondation Chantal Akerman, Cinematek, Capricci. Tous droits réservés.

Box-office des reprises 2007 et 2023

La reprise 2007 par Carlotta n’a apportera pas beaucoup de spectateurs aux actifs du film (313 dans une salle parisienne). L’objet était surtout de vendre des DVD et de rappeler l’existence de cette oeuvre majeure dans l’histoire du 7e art.

En revanche, en 2023, fort d’un public masculin plus ouvert au sujet, d’une explosion du nombre de femmes dans les médias pour en parler, ainsi que du classement de Sight & Sound, les spectateurs sont enfin prêts pour découvrir la terrible réalité de cette condition féminine que le monde occultait. En deux semaines, sur 22 écrans, Jeanne Dielman a déjà été vu par 7 066 Français, soit presque autant qu’à sa sortie. A Paris, deux écrans l’ont célébré (le Reflet Médicis et le MK2 Beaubourg), avec une relative stabilité d’une semaine à l’autre. Un score remarquable pour une reprise qui va encore grimper.

Frédéric Mignard

Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles, affiche du film

© Fondation Chantal Akerman, Cinematek, Capricci. Tous droits réservés.

Le DVD

Bien avant la reprise cinéma en 2023 par Capricci Films, c’est Carlotta qui a ressorti Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles en 2007, à la fois en salle et en DVD, à l’occasion d’une édition collector double bonus. En voici, notre avis d’époque…

Compléments : 4.5/5

Les bonus de Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles s’articulent autour d’un making (78 mn) filmé par Sami Frey et d’un autoportrait de la cinéaste (17 mn). Pierre angulaire de ces bonus, le premier document nous permet d’assister aux préparations du tournage. Seyrig et Akerman argumentent sur leur vision des scènes à tourner et des plans à composer. Dans ces échanges, l’actrice fait preuve d’une expérience cinématographique et d’une personnalité plus appuyées que la jeune cinéaste, ce qui donne un aspect touchant à ces instants.

Image & Son :

L’image du DVD de Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles est remarquable. Sa définition précise rend hommage à cette reconstitution d’intérieur brillamment photographié. Le son mono est pour sa part correct, même si traînent en bruit de fond quelques crépitements tenaces.

Frédéric Mignard

Jaquette du double DVD de de Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles, chez Carlotta, en 2007

Jaquette du double DVD de de Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles, chez Carlotta, en 2007 © Fondation Chantal Akerman, Cinematek, Capricci. Tous droits réservés.

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Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles, affiche du film

Bande-annonce de Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles

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