Avec Funny Games U.S., Haneke duplique inutilement son film éponyme de 1998 pour le public américain. Une démarche bien vaine au vu de son flop étasunien, pour une œuvre qui n’en demeure pas moins forte. Trop forte, très certainement.
Interdit aux moins de 16 ans, cela va sans dire.
Synopsis : Ann, George et leur fils Géorgie sont en route vers leur résidence secondaire pour y passer l’été. Leurs voisins, Fred et Eva, sont déjà arrivés et ils décident de se retrouver tous le lendemain matin pour une partie de golf.
Tandis que son mari et son fils s’affairent sur leur voilier récemment remis en état, Ann commence à préparer le dîner. Tout à coup, elle se trouve face à face avec un jeune homme extrêmement poli, Peter, un des invités de ses voisins, venu, à la demande d’Eva, lui emprunter quelques œufs. Ann s’apprête à les lui donner quand soudain, elle hésite.
Comment Peter est-il entré dans leur propriété ?
Les choses prennent vite un tour étrange et débouchent sur une explosion de violence.
Michael Haneke veut enfin choquer l’Amérique
Critique : Comme les Américains sont visiblement trop étroits d’esprit pour s’ouvrir aux œuvres étrangères, les auteurs non anglophones doivent faire le forcing pour imposer leur travail, même s’il leur faut refaire le même film au plan près avec des acteurs nationaux.
Michael Haneke s’est donc plié à l’exercice de la photocopie plan par plan pour que le continent de George W. Bush puisse découvrir le jeu de massacre qui lui avait offert son plus grand succès dans les années 90. Un spectacle forcément inutile pour les Français qui, en 1998, ont été 68 000 à se forcer à subir les agressions gratuites d’une famille innocente par deux meurtriers pervers et taquins.
Si l’on se positionne à notre place de cinéphiles européens traumatisés par le “home invasion” original, le remake s’avère maigre. Le cinéaste, provocateur intransigeant et peu farouche, se fourvoie dans l’exercice de style vain et gâche quelques années de son talent pour une redite que l’on ne voulait pas subir.
Un duplicata dérangeant, y compris artistiquement
Le duplicata n’offre aucun grand changement si ce n’est le casting, ici enrichi de deux vedettes locales (Naomie Watts et Tim Roth, tous deux impeccables). Evidemment, le résultat est apriori concluant. Dans la forme principalement. On ne remettra pas en question la maestria d’Haneke qui, de, toute façon, s’était déjà exercé avec Benny’s Video (1992) et Funny Games (1998), dans cette mise en scène de la cruauté gratuite érigée en exercice de style.
Affiche de Funny Games, version originale de Michael Haneke © 1997 Wega Films. Tous droits réservés.
Le métrage, en passant de l’autre côté de l’Atlantique, a gardé une maîtrise clinique de l’espace et du temps pour imposer son jeu de torture pervers d’une cruauté éprouvante. Celle-ci fait toujours son effet. La bande-son, entre silences pesants et quelques extraits de morceaux de hard rock qui viennent vicier le calme d’une musique classique douce mais inquiétante, participe au malaise, constant dès le générique d’ouverture.
L’inconfort va en crescendo jusqu’à l’intolérable dénouement.
Un premier degré dans la violence qui désarme
Le spectateur s’emplit d’empathie pour les victimes du supplice qu’il subit également, à sa manière, contraint par son siège, submergé par les tortures sans limites infligées. Pas d’échappatoire dans l’humour ou le second degré, Michael Haneke le tient bâillonné dans l’horreur viscérale d’une violence absurde sans nom et sans justification.
Pourtant le discours a mal survécu aux affres du temps. Le cinéaste autrichien souhaite relancer la polémique sur des idées qu’il avait développée dans les années 90, notamment avec Benny’s Video, mais qui aujourd’hui semblent quelque peu dépassées. Peut-être justifie-t-il la légitimité de pareil remake par l’égarement accentué de l’humanité dans le voyeurisme de la télé poubelle des années 2000 (celle de l’avènement mondial de la téléréalité). Mais cette idée est convenue, tout comme sa démarche en décalage avec la société contemporaine qui cherche davantage une réponse que du voyeurisme calculé alors que celui-ci est devenu omniprésent avec internet. Ce n’était pas alors le cas quand Funny Games avait été produit en 2007.
© 2008 Celluloid Dreams, Halcyon Pictures, Tartan Films, X Filme International, Lucky Red. Tous droits réservés.
En refusant d’expliquer le pourquoi de cette barbarie adolescente, le cinéaste se contente de mettre en scène une facette de la perversion humaine. La plus cinématographique car la plus rare, celle qui confine au genre horrifique, au lieu de s’attaquer à la racine et à la vraie violence qui secoue nos sociétés : l’obscurantisme intellectuel, le fanatisme religieux, la haine des différences, la misère sociale, l’arrogance et l’aveuglement de l’individualisme… Caché du même Haneke et son contexte historique paraît de ce fait bien plus pertinent.
Funny Games U.S. brasse les clichés sur la violence clinique avec style et donc complaisance
L’étalage de violence physique et psychologique est d’une portée redondante dans un 21ème siècle des chaînes infos et de l’internet rongé par l’accumulation de faits divers aussi sordides qui interpellent au-delà du portrait d’une jeunesse vide d’émotions et incapable d’empathie.
Haneke se contente finalement de mettre en scène deux éternels adolescents (dont l’inquiétant Michael Pitt) qui se retrouvent de l’autre côté de l’écran en tant qu’éléments actifs. Ils incarnent à leur manière les saigneurs tout-puissants, jouissant des pouvoirs sans limite que leur offre l’interactivité absolue et deviennent les tortionnaires effectifs du thriller. Le constat clinique du cinéaste est celui de la complaisance, ni plus ni moins.
Face à l’ignominie du spectacle provoquant spontanément notre rejet et notre révolte, on ne voit pas où la réflexion constructive peut se loger dans un tel déballage d’émotions primaires dont rien de bon ne peut ressortir : dégoût évident, fascination malade… A vrai dire, on n’avait jamais eu envie de revoir Funny Games.
Affiche britannique. © 2008 Celluloid Dreams, Halcyon Pictures, Tartan Films, X Filme International, Lucky Red. Tous droits réservés.
Box-office de Funny Games U.S. :
Intitulé Funny Games sur la plupart des marchés où le film original n’était pas connu, Funny Games U.S. n’a pas fait l’effet d’un uppercut auprès du public qui n’a pas essayé de s’aventurer dans son trouble jeu.
Les critiques américaines ne l’ont guère épargné, avec quelques avis clairvoyants : “Professional obligations required that I endure it, but there’s no reason why you should.” (Villagevoice.com).
La production moyenne de 15M$ de budget restera 7 semaines à l’affiche aux USA, avec une diffusion limitée à 286 écrans lors de son lancement après les Oscars, puisque rien dans les premiers échos en festival en octobre 2007, ne laissait présager une perspective pour les statuettes.
Le premier week-end est trop juste (544 933 $ dans 286 cinémas, moyenne de 1 905). Malgré une stabilité des écrans la semaine suivante, le plongeon de 55% (245 000$) ne laisse guère d’espoir pour la suite. Le week-end 3 est celui du couperet (-81.5%, 45 530$).
Funny Games U.S. finit sa carrière américaine à 1 294 640$.
En France où Tim Roth et Naomi Watts sont appréciés du public, le film d’Haneke parvient à attirer 52 136 spectateurs dans 118 spectateurs, avec une interdiction lourde aux moins de 16 ans. Le circuit limité de lui permet pas d’intégrer le top 10 où l’on trouve toutefois un certain Rec qui s’octroie 167 270 spectateurs dans 170 cinémas cette même semaine.
La perte de 42% des entrées de Funny Games U.S. (30 120) le place déjà en capacité de surpasser le total du film original (68 245 entrées). La production américano-européenne quitte le top 20 en 3e semaine (-50%), avec 15 181 spectateurs dans 81 salles.
Lors d’une semaine cannoise sans grandes nouveautés, Michael Haneke s’accroche en 4e semaine (-18%, 12 516), et parvient à franchir les 100 000 entrées.
C’est en semaine 5 marquée par de grosses sorties que le public assassine Funny Games U.S. avec une tranche de 76% de sa fréquentation sectionnée (3 030 entrées dans 34 cinémas).
Au final, le Home invasion movie infligera sa souffrance 8 semaines, avec un dernier tour à 31 spectateurs dans 2 cinémas et un total de 116 162 masochistes et une 204e place annuelle.
La France sera le 3e marché mondial pour ce film avec des recettes de 1 049 000$. Curieusement, les Etats-Unis n’arrivent pas en tête, mais c’est bel et bien l’Italie qui s’en fera le leadeur international, avec 2 100 005 $, loin devant l’Allemagne où le flop sera total (138 000$).
Les sorties de la semaine du 23 avril 2008
© 2008 Celluloid Dreams, Halkcyon Pictures, Tartan Films, X Filme International, Lucky Red. Tous droits réservés.
Biographies +
Michael Haneke, Naomi Watts, Tim Roth, Michael Pitt
Mots clés :
Interdit aux moins de 16 ans, 2008, Les huis-clos au cinéma, Shocker, Les tueurs fous au cinéma, La famille au cinéma, Remake, Remake de films d’horreur