Touchant récit d’apprentissage, Falcon Lake aborde la naissance du désir adolescent avec finesse et subtilité au cœur d’un long-métrage à l’ambiance séduisante, toujours à la lisière du fantastique. Une réussite.
Synopsis : Bastien et Chloé passent leurs vacances dans une cabane au bord d’un lac au Québec, hantée par une légende fantôme. Malgré la différence d’âge qui les sépare, les deux adolescents forment un lien singulier pour affronter leurs peurs.
L’adaptation d’un roman graphique de Bastien Vivès
Critique : Alors qu’elle a tourné dans Yves Saint-Laurent (2014) et Iris (2016) de l’acteur-réalisateur Jalil Lespert, la comédienne québécoise Charlotte Le Bon a reçu en cadeau de sa part la bande-dessinée Une sœur (2017) signée Bastien Vivès. Dans l’esprit de Jalil Lespert, cette œuvre pouvait intéresser l’actrice qui venait de passer à la réalisation avec le court-métrage Judith Hotel (2018). Et de fait, la sensibilité du roman graphique consacré à la naissance du désir chez un adolescent a enthousiasmé la comédienne qui a voulu transposer cette histoire dans son Québec natal.
Dès le moment où Charlotte Le Bon s’engage dans ce projet, Jalil Lespert décide de l’aider en tant que coproducteur, tout en recevant également le soutien financier de Dany Boon. Autant de cautions qui permettent la mise en chantier rapide du long-métrage qui a été tourné durant l’été 2021 au Canada dans une région où la réalisatrice a passé une grande partie de son adolescence. Afin d’incarner ses jeunes héros, elle fait appel au très jeune Joseph Engel qui a déjà fait ses preuves au cinéma dans deux œuvres de Louis Garrel (L’homme fidèle et La croisade). Face à ce jeune Français, la cinéaste a sollicité Sara Montpetit, une québécoise un peu plus âgée qui venait tout juste d’être révélée par la fresque historique Maria Chapdelaine (Sébastien Pilote, 2021).
Une plongée au cœur du trouble adolescent
Le duo ainsi constitué, la réalisatrice a choisi de laisser grandement dans l’ombre les acteurs adultes. Ainsi dans Falcon Lake, les adolescents sont au cœur du cadre, tandis que leurs parents sont à peine entrevus dans des plans qui les excluent du champ de la caméra ou qui les place en arrière-plan, souvent dans le flou. Par ce procédé, la réalisatrice indique à quel point les adolescents ne considèrent plus leurs parents comme une donnée essentielle. Désormais débordés par leurs désirs naissants, les ados semblent parfaitement autonomes par rapport aux adultes, comme dans une bulle où rien ne les atteindrait.
Pour un premier film, Charlotte Le Bon a fait le pari d’une esthétique très marquée puisqu’elle utilise un cadre carré qui restreint le champ de vision et centre l’attention sur les visages de ces ados. En matière de photographie, elle se sert de la richesse de la véritable pellicule pour donner un grain spécial à l’image et renforcer le poids des ténèbres qui s’abattent sur ces jeunes gens lors des moments plus dramatiques.
Une histoire aux confins du fantastique
Alors que le film constitue un récit d’apprentissage finalement assez classique, la tonalité fantastique octroyée par Charlotte Le Bon en fait une œuvre terriblement attachante. La localisation autour d’un lac à l’aspect sauvage, la présence de ténèbres et l’évocation de fantômes présents sur les lieux évoquent des thématiques de film d’horreur et le film ne rechigne pas à basculer de temps à autre dans le champ du cinéma fantastique. Certes, il s’agit essentiellement d’une dimension métaphorique, mais le dernier quart d’heure vient encore accentuer cette prégnance du récit fantastique au cœur de l’intimité des personnages.
Très adroite lorsqu’il s’agit de décrire les premiers émois adolescents, Charlotte Le Bon ne cherche aucunement le plan racoleur et préfère insister sur la sensualité naissante entre deux êtres qui découvrent les joies de l’amour charnel le temps d’un été. Autant d’éléments qui nous ramènent tous à nos premières expériences et à notre propre intimité. Toutefois, le récit se teinte régulièrement d’une certaine noirceur qui s’exprimera finalement complètement dans le dernier quart du film.
Falcon Lake, une bête de festival restée dans l’ombre lors de sa sortie en salles
Ethéré et joliment réalisé, Falcon Lake est aussi porté par une bande sonore, tout à tour planante ou menaçante, du meilleur effet, tandis que les jeunes acteurs sont totalement convaincants. De quoi mériter les louanges qui ont accompagné la projection de ce beau premier film lors des différents festivals où il a été sélectionné. Présenté au Festival de Cannes 2022 dans la section de la Quinzaine des Réalisateurs, Falcon Lake est reparti bredouille de la compétition, mais a obtenu de sortir dans nos salles au mois de décembre 2022.
Malheureusement, en manque de notoriété, le long-métrage qui a bénéficié de 56 copies sur notre territoire n’a guère suscité la curiosité du grand public ou même des cinéphiles. Ainsi, lors de sa première semaine d’exploitation, le drame adolescent n’a attiré que 12 118 spectateurs dans les 56 salles qui l’accueillait. La semaine suivante fut marquée par une chute d’environ 50 % des entrées et le long-métrage a achevé sa carrière de treize semaines avec seulement 30 434 tickets vendus. Cette contre-performance a entrainé la sortie du film uniquement en DVD, réservant ainsi la HD à la VOD.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 7 décembre 2022
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Charlotte Le Bon, Anthony Therrien, Monia Chokri, Joseph Engel, Sara Montpetit
Mots clés
Cinéma Québécois, Teen movie, La sexualité des adolescents au cinéma