Pur film d’exploitation outrancier et putassier, Emanuelle et les derniers cannibales est une œuvre hallucinante, typique des excès italiens des années 70. Un cinéma déviant à réserver à un public de bisseux pour qui le festin sera total.
Synopsis : Dans la forêt amazonienne, Emanuelle mène une enquête dans un hôpital psychiatrique quand elle voit une patiente dévorer le sein d’une autre. La dévoreuse possède une marque sur le ventre, un signe d’appartenance à une tribu de cannibales. Les autorités lui affirmant qu’il n’y a plus de cannibales dans la région, Emanuelle s’entoure d’un ethnologue, une sœur, un guide et une jeune fille pour aller mener une expédition au cœur de la forêt.
Une nouvelle déclinaison de la saga Black Emanuelle
Critique : Lorsque Joe D’Amato se lance dans la confection d’Emanuelle et les derniers cannibales en 1977, il n’est plus un novice en la matière puisqu’il vient d’enchaîner les tournages des deuxième, troisième et quatrième volet de la saga Black Emanuelle, toujours avec la belle Laura Gemser.
Pour mémoire, cette déclinaison italienne de notre Emmanuelle (Jaeckin, 1974) française a été initiée en 1975 par le réalisateur Bitto Albertini. Black Emanuelle a rencontré un tel succès que les producteurs ont immédiatement initié une série de films cette fois-ci mis en boîte par le stakhanoviste Joe D’Amato. Il en signe un nombre conséquent en seulement deux ans. Emanuelle et les derniers cannibales est donc le cinquième volet des aventures exotiques de Laura Gemser, et le quatrième tourné par l’ami Joe.
Un audacieux cocktail de sexe et de sang
Au fur et à mesure de la saga, l’empreinte de Joe D’Amato se fait plus prégnante, notamment par son goût immodéré pour les situations glauques. Déjà assez gratiné, Black Emanuelle en Amérique (1977) évoquait le milieu du snuff movie, avec intrusion de plans horrifiques au sein d’une production censément érotique. C’est ce mélange des genres audacieux que Joe D’Amato (Aristide Massaccesi, pour les intimes) décide de pousser encore plus loin avec ce cinquième opus.
Le film s’abreuve effectivement à trois sources majeures du cinéma bis italien. Tout d’abord, il s’inscrit dans tout un courant du cinéma européen d’exploitation des années 70 qui profite de la libération des mœurs et de la censure pour exhiber des corps féminins dans des situations lascives. Il exploite notamment le récent triomphe d’Emmanuelle déjà cité.
Une pincée de mondo et de cannibalisme
Deuxième source du film, le cinéma mondo est né dans les années 60 à la suite du succès rencontré par le documentaire Mondo Cane (Jacopetti, Prosperi, Cavara, 1962). Il s’agit de longs-métrages constitués de faux documents censés nous apprendre les mœurs étranges de populations exotiques. Par sa volonté de faire passer son histoire pour véridique, Joe D’Amato s’inscrit pleinement dans cette logique, d’autant qu’il utilise fréquemment la caméra à l’épaule pour donner un aspect plus brut à ses images.
Enfin, la troisième source du réalisateur vient de la naissance au cours des années 70 du film de cannibales. Cela commence dès 1972 avec Au pays de l’exorcisme (Lenzi), même si le film est plutôt soft. Mais c’est surtout le succès du Dernier monde cannibale (Deodato, 1977) qui pousse Joe D’Amato dans cette veine putassière du film d’aventures à forte tendance gore.
Du pur cinéma d’exploitation racoleur
Nous voyons donc qu’Emanuelle et les derniers cannibales est un pur produit du cinéma d’exploitation de son époque et qu’il est donc important de le considérer avec le regard du public des salles populaires. Oui, le film souffre de relents racistes. Oui, les femmes n’y sont guère à leur avantage. Oui, tout ceci est foncièrement putassier et d’un total mauvais goût. Ceux qui veulent uniquement côtoyer les grandes œuvres du cinéma peuvent donc arrêter la lecture de cet article dès à présent, le reste s’adressant essentiellement aux amateurs de cinéma bis et déviant.
Le long-métrage commence par un carton avertissant le public que tout ce qui suit est tiré de l’histoire vraie d’une journaliste. Bidon, bien évidemment. Le procédé était alors courant dans le cinéma d’exploitation, d’autant que nous sommes à une époque où il est encore difficile d’aller vérifier ce type d’information. Il ne faut pas longtemps au spectateur pour se douter de la supercherie tant les séquences initiales dans l’hôpital psychiatrique sont à mourir de rire. Tous les figurants regardent la caméra et les situations sont plus absurdes les unes que les autres – notamment la première scène érotique, particulièrement saugrenue.
Les plans dans New York ont été tournés sans aucune autorisation en mode guérilla, ce qui explique là encore l’intérêt des badauds qui ne cessent de regarder les acteurs et la caméra, au détriment de toute crédibilité.
Une Amazonie de pacotille pour public peu exigeant
Arrive ensuite le fameux voyage aux confins de l’Amazonie. Les plans aériens sont des stock shots et ceux tournés à l’intérieur de la jungle ont été emballés en Italie. Les spectateurs férus de faune et de flore amazonienne verront immédiatement les incohérences (plans sur des animaux africains, alors que nous sommes censés être en Amérique du Sud).
Toutefois, là où certains autres épisodes de Black Emanuelle se contentent d’enchaîner les parties de jambes en l’air dans des paysages exotiques, Emanuelle et les derniers cannibales glisse inexorablement vers le film d’horreur et le gore. Les séquences les plus hallucinantes se succèdent alors. On adore notamment les ébats en pleine jungle de la femme du chasseur avec un Noir bien musclé – séquence totalement bis. Et que dire de la défloration de la jeune vierge par un village entier de cannibales, si ce n’est qu’elle met à la fois mal à l’aise tout en faisant rire par ses excès. Lorsqu’il s’agit de massacrer les pauvres victimes, Joe D’Amato n’y va pas par quatre chemins et propose des plans très gore avec éventration et émasculation (son obsession de film en film).
Un film foutraque, mais d’une incroyable générosité envers le fan de bis
Dans ce grand bal du cinéma déviant, il n’est pas interdit de trouver une petite morale chrétienne puisque les personnages qui meurent dans d’atroces souffrances sont des êtres cupides et malhonnêtes. La morale est sauve – quoique sévèrement écornée. Le tout est réalisé de manière inégale, porté par une musique caractéristique de l’époque signée Nico Fidenco. Mais ce qui marque le plus le fan de film bis, c’est la générosité d’un long métrage qui n’est jamais ennuyeux et offre au spectateur ce qu’il est venu chercher, à savoir de la fesse, du sang, des tripes et des situations rocambolesques en rafale.
Sorti en France sous le titre encore plus putassier de Viol sous les Tropiques, Emanuelle et les derniers cannibales n’est certainement pas une œuvre majeure du septième art, mais elle fait clairement partie de ces films hallucinants des années 70 que l’on revoit toujours avec plaisir, années après années. Un must pour les amoureux de bis.
Les sorties de la semaine du 6 septembre 1978
Le test du Mediabook :
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Compléments & packaging : 4.5 / 5
Tout d’abord, il est important de signaler la beauté de l’objet définitif qui nous a été fourni. Le Mediabook est esthétiquement magnifique, très épais et vient donc s’insérer magnifiquement dans notre vidéothèque, à côté de la collection Fulci.
Le Mediabook s’ouvre sur un superbe livre de 64 pages écrit par David Didelot grâce à qui vous saurez tout sur Laura Gemser, la saga Black Emanuelle et ses multiples déclinaisons. Le tout est agrémenté de magnifiques photos de la belle Laura (top pour les fans), mais aussi de très nombreuses affiches d’époque dont celle de Viol sous les Tropiques. L’édition vaut déjà le coup, rien que pour le livre.
On retrouve David Didelot dans la partie bonus vidéo avec un entretien de 21 minutes entièrement consacré à Joe D’Amato dont il parvient à embrasser l’imposante carrière en peu de temps. Reste à consulter une bande-annonce et un diaporama de photos et d’affiches.
Image : 3 / 5
Artus propose généralement des copies splendides pour ses mediabooks. Or, force est d’admettre que celle d’Emanuelle et les derniers cannibales est perfectible à plus d’un titre. Cela concerne surtout la partie américaine du métrage, avec un grain très prononcé, des éclairages parfois brûlés, des points et quelques griffures. On imagine que le matériel initial devait être déjà très abîmé. Cela s’arrange fortement durant la partie amazonienne (donc tournée en Italie). Les éclairages y semblent plus maîtrisés et certains plans peuvent même être très beaux. Le résultat est donc inégal, mais on imagine mal une quelconque restauration intervenir un jour.
Son : 4 / 5
Les deux pistes italienne et française sont de bonne tenue quoique différentes. L’italienne paraît plus ouverte et naturelle, malgré un ensemble doublé. La musique s’épanouit également davantage. La piste française est plus restreinte dans ses ambiances, mais ajoute une dimension bis non négligeable à cause d’un doublage parfois Z, et surtout agrémenté de quelques dialogues épicés typiques d’une certaine époque tant regrettée. Dans les deux cas, tout souffle parasite a été éradiqué.
Critique du film et test blu-ray de Virgile Dumez