Elle s’en va est un road-movie au féminin qui évoque le cinéma de Gustave Kervern, avec une franchise et une liberté de ton revigorantes. Deneuve est grandiose !
Synopsis : Bettie, la soixantaine, se voit soudain abandonnée par son amant et en péril financier avec le restaurant familial. Que faire de sa vie ? Elle prend sa voiture, croyant faire le tour du pâté de maison. Ce sera une échappée. Au fil de la route : des rencontres de hasard, un gala d’ex-miss France, le lien renoué avec sa fille, la découverte de son petit-fils, et peut-être l’amour au bout du voyage… Un horizon s’ouvre à elle.
Un tournant à 70 ans pour le mythe Deneuve
Critique : Deneuve est une star affranchie du mystère du silence et des éclipses : éternellement là depuis plus de 60 ans, franche, robuste, rarement fragile à l’écran. Trop, probablement. Le poids qu’elle porte dans l’industrie du cinéma français est immense, puisque contrairement à des Delon ou Belmondo, sa carrière n’a jamais balbutié. Et pour cause, elle a su se débarrasser naturellement de l’image de sex-symbol qui peut faire mal aux comédiennes figées, qui refusent les lois de la nature à l’écran, préférant avec le temps affirmer un caractère fort d’une expérience unique.
Dans Elle s’en va, le film qui révéla Emmanuelle Bercot en tant que réalisatrice après des essais plus contestés (Backstage, 2005), Deneuve poursuit une carrière où le commerce n’est plus la préoccupation de la star depuis longtemps. Les risques, les auteurs, notamment Téchiné, les images brisées, elle connaît. Toutefois, dans Elle s’en va, elle pousse l’exercice de déboulonnage du mythe, un peu plus loin, en confrontant sa féminité changeante à un réalisme universel où elle brille littéralement.
En phase dépressive, “la” Deneuve claque la porte, quitte sa mère quand son amant la plaque. Pour quelques jours, symboliquement. Pour arpenter, d’abord sans but, les routes de la France profonde, la coupe de cheveux négligée, les vêtements inchangés par la spontanéité de l’acte qui ne l’a pas conduite à faire sa valise. Confrontée à la France des nécessiteux, des paumés, celle de tous les âges, des jeunes sans situation fixe ou du troisième âge abandonné, du fait des contingences de la vie et des bouleversements sociétaux, la blonde froide à l’image classieuse de magnifique bourgeoise, trouve légitimement sa place dans les pompes grossières d’une classe moyenne à problème. Elle s’en va, l’actrice, la star… et se fait oublier pour devenir Bettie.
Un road movie de vies abîmées et d’outsiders cabossés
Dans une œuvre au point de vue bohème, où l’on s’attarde sur le laid et la déprime pour y trouver d’authentiques moments de bonheur, Deneuve est au firmament. Elle rayonne sans bouffer les autres à l’écran, puisque tous autour d’elle sont à leur place. Seconds rôles improbables (son jeune amant d’une nuit de beuverie dans un bouge), figurants hors norme (les gueules à la Kervern, façon Mammuth), vedettes populaires un peu oubliées (Claude Gensac et Mylène Demongeot dans des rôles marquants), stéréotypes généralement usants mais ici bien usités (le petit-fils tête-à-claques et insolent qu’elle traîne sur sa route) ou caméo de jeune vedette bien de son époque (la chanteuse Camille, au naturel confondant dans un rôle de femme révoltée, voire hystérique, avec la gouaille des classes populaires, qui y va franco)…
Dans Elle s’en va, étrange parcours où l’amour se tapit quelque part, des thèmes essentiels sont abordés, autant par Deneuve que par la réalisatrice qui sait marquer l’œuvre de ses intentions et de son caractère. Une thématique très féminine, avec les accidents cruels de la vie, les bonheurs volés, le charme qui se fane, les illusions de la beauté… Encore une fois universelle, avec cette réflexion sur la famille, la place des vieux dans ce monde qui déplace les êtres gênants, du moins quand on en a l’argent. Evidemment, les enfants qui encaissent, comme des buvards, toutes les ondes de choc sociale, conjugale.
C’est beau de voir Deneuve, qui n’a encore une fois rien à prouver et qui n’est pas là pour casser son image (elle l’a déjà fait depuis des lustres), se prêter à cet exercice qui tourne à la complicité intergénérationnelle. Dans ce mélange de castes, il ressort au moins une classe, celle d’une actrice formidable, qui, en bourgeoise pimpante ou en sexagénaire paumée sur une air d’autoroute, a toujours cet amour du cinéma, ce désir d’aventures et de rencontres qui caractérise les grands de cet art.
Elle s’en va ou comment Deneuve resta 10 ans de plus au sommet de sa propre mythologie
Pour les 80 ans du mythe Deneuve, la chaîne Arte à décider de célébrer ce film tourné 10 ans auparavant. Un choix fort pout une œuvre d’à peine 6M d’euros de budget qui bénéficia d’un beau bouche-à-oreille. En démarrant une première semaine française à 128 000 amoureux de la grande Catherine, Elle s’en va multipliera cette entame par 3.3 pour atteindre les 414 000 spectateurs en fin de route.
Deneuve fut nommée aux César et décrochera un prix d’interprétation à Cabourg. Elle se fit longtemps applaudir à Berlin où le métrage fut sélectionné en première mondiale.
Un vrai beau succès pour cette immense dame qui a su croire en la vision sociale et féminine d’Emmanuelle Bercot qu’elle suivra volontiers pour d’autres projets difficiles (Deneuve est la juge pour enfants rebelles dans La tête haute, en 2015, et la mère d’un homme mourant, condamné par la maladie, dans De son vivant).
A 70 ans dans Elle s’en va, ou à 80 ans en 2023 dans Bernadette, Deneuve demeure un mythe, de ceux capables de jouer avec leur image glamour pour feindre une simplicité crédible. Loin d’être l’annonce d’une retraite, le jalon d’Emmanuelle Bercot fut suivi par 20 films supplémentaires dans la filmographie ambitieuse de Catherine Deneuve.
Oui, finalement, elle est restée. A l’écran et dans nos vie. Et on n’a eu de cesse de l’aimer.
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Emmanuelle Bercot, Catherine Deneuve, Hafsia Herzi, Claude Gensac, Mylène Demongeot