De nos frères blessés est un film fort qui lève le voile sur sur l’une des périodes les plus sombres de notre histoire et dénonce la brutalité du dernier gouvernement de la IVème République.
Synopsis : 1956. Alger. Fernand Iveton, 30 ans, est arrêté dans son usine, accusé d’y avoir posé une bombe. A l’autre bout de la ville, devenue femme d’un “traître”, la vie d’Hélène bascule. Elle refuse d’abandonner Fernand à son sort.
Une plongée à rebours au cœur de leurs souvenirs, une histoire d’amour et d’engagement brisée par la raison d’Etat.
Guillotiné par son pays
Critique : Sans le patient travail d’enquête de Jean-Luc Einaudi qui sert de trame à Joseph Andras pour construire son roman De nos frères blessés, qui aujourd’hui connaîtrait l’existence et le combat pour la fraternité de Fernand Iveton, un jeune ouvrier communiste anticolonialiste, rallié au FLN, seul européen à avoir été guillotiné par son pays durant la guerre d’Algérie ?
Incité par sa compagne scénariste Katell Quiellévéré à découvrir ce jeune auteur inconnu d’autant plus intrigant qu’il vient de refuser le prix Goncourt attribué à De nos frères blessés, son premier ouvrage, Hélier Cisterne est séduit par la force des sujets politiques qu’il décrit à travers le parcours d’un couple ordinaire pris dans la tourmente de l’histoire.
Et au début fut la romance
L’attention se concentre dans un premier temps sur l’osmose entre Fernard Yveton (Vincent Lacoste) et une jeune polonaise (Vicky Krieps) qui l’aborde dans un bar à Paris. Une histoire d’amour et d’engagement pourtant démarrée sur un malentendu qui donne lieu à une scène capitale et captivante sur la différence de point de vue autour d’une même idéologie. Fernand, issu d’une famille communiste, anti-raciste, apôtre de la paix, croit dur comme fer aux vertus d’un parti qui véhicule, dans la France du milieu du XXème siècle, des valeurs d’égalité et de fraternité. Hélène, a fui le régime stalinien qui garde en otage le reste de sa famille et se cabre à la moindre évocation de la doctrine haïe. Une parfaite illustration de ces années d’après-guerre nourries de contradictions et d’instabilité au point de fomenter des conflits internes difficilement avouables dont les cicatrices ne sont pas totalement refermées, à l’image de ce qui fut pudiquement appelé « les événements d’Algérie ».
Jusqu’à la bombe
Les scènes de la vie quotidienne superposent les preuves d’un combat sincère mené à deux, au nom de la liberté des peuples. Les allers et retours entre passé et présent, Alger et Paris se multiplient et laissent flotter un perturbant sentiment d’incertitude sur le choix de la voie à emprunter. Jusqu’à ce que la pose d’une bombe et l’infâme procès qui en découle amorcent plus vigoureusement la trame d’un retour vers le passé qui raconte à la fois la condition des femmes de cette époque mais aussi et surtout interroge sur la facilité avec laquelle des démocraties reconnues peuvent, selon l’époque et les circonstances, verser sans état d’âme vers les pires ignominies.
De nos frères blessés, une urgence bien contemporaine
Fernand Iveton n’est pas un héros, juste un jeune homme épris de justice, employé à l’usine de gaz d’Alger. Il se contente de gommer sur les panneaux des inscriptions telles que « interdit aux chiens et aux Arabes ». En signe de protestation contre cette ségrégation, il pose une bombe sur son lieu de travail, un engin qui ne provoque aucune mort, car il est pacifiste. Pour les autorités de l’époque embourbées dans une spirale autoritaire, il représente l’occasion inespérée de faire un exemple. Sa femme est renvoyée de son travail. Torturé, il est condamné à mort. Elle remue ciel et terre pour le sauver. Son avocat a bon espoir d’obtenir sa grâce auprès du Président René Coty. Mais le garde des sceaux de l’époque, un certain François Mitterrand qui se glorifiera quelques décennies plus tard d’être l’instigateur de l’abolition de la peine de mort, le fait guillotiner.
Au-delà de la puissance de la charge politique, l’interprétation sobre et précise de Vincent Lacoste, définitivement débarrassé de son je-m’en-foutisme adolescent, associée au charme de Vicky Krieps, merveilleux mélange de détermination et de douceur, met en lumière le danger pour une république à accepter en toute obéissance les états d’urgence, les mesures exceptionnelles et la violence de la répression.