Premier film tourné en Cinémascope, Comment épouser un millionnaire est une comédie élégante à la touche new-yorkaise imparable. Belles, blondes et peaux de vache à tous les étages dans cette comédie de la Fox d’une grande efficacité, entièrement construite sur la vénalité de trois femmes fatales.
Synopsis : A New York, trois jeunes mannequins louent un luxueux appartement avec un objectif en tête : attirer les messieurs de la haute société afin de parvenir à épouser un homme très riche.
Critique : Si vous pensiez que la femme est un être doux, sensible, intelligent, aimant, désintéressé et par-dessus tout altruiste, détrompez vous ! Comment épouser un millionnaire, comédie faussement misogyne des années 50, a bâti son statut de film culte sur un portrait moins #MeToo compatible de la femme des années cinquante.
Une adaptation d’une pièce de théâtre peu #MeToo compatible
La femme y est dépeinte de façon catégorique : derrière ses regards délicats, le sex-symbol glamour cache de la duplicité, une farouche volonté d’arriver à ses fins, à savoir obtenir une excellente situation sociale qui la mettra à l’abri du besoin. Bref, des femmes d’action qui ont le pouvoir d’agir par leurs charmes.
Cette comédie issue de l’âge d’or hollywoodien est entièrement fondée sur un postulat machiste qui veut que ces dames ne soient intéressées que par l’argent, en particulier quand elles sont parées des atouts de la beauté, instrument de destruction massive pour ces messieurs, riches de surcroit.
Un film à la tonalité queer, gay et bitchy
Avec un humour très queer, les auteurs, dont le scénariste Nunnaly Johnson, signent une ode à la superficialité et à la sournoiserie d’un autre temps qui a été célébrée dans la communauté homosexuelle pendant des décennies pour la rhétorique et manières bitchy des trois garces qui lui servent de protagonistes avec délices. Il est vrai que les trois personnages aux courbes divines qui habitent cette comédie urbaine s’en donnent à cœur joie pour ferrer le mâle au portefeuille bien garni.
Avec le recul féministe du XXIe siècle, l’ensemble pourra paraître particulièrement indigne à la plupart des militantes féministes, mais remis dans le contexte, l’indulgence est de mise. L’humour de cette adaptation d’une pièce des années 20 est euphorique et totalement inoffensif dans sa peinture grossière d’une mentalité qui n’est plus et qui a une valeur sociologique.
Le succès de l’ensemble, on ne le doit pas à son cinéaste, Jean Negulesco, auteur d’origine roumaine exilé aux Etats-Unis. Ce dernier ne jouit pas d’une grande réputation auprès des critiques et son travail, est estimé généralement comme impersonnel ; ici, il n’est pas particulièrement brillant sur cette comédie sentimentale. La mise en scène est acceptable, mais le cinéaste s’appuie surtout sur le jeu de ses trois interprètes féminines, toutes trois à des points déterminants pour leur carrière.
Grable, Monroe, Bacall : trois actrices glamours à des tournants de leur carrière
Ainsi, Betty Grable est encore une icône pour de nombreux Américains, l’incarnation de la pin-up aux jambes parfaites, mais sa carrière déclinante, on sent le désir du studio Fox, qui l’a longtemps gardée sous contrat, de passer le relais à Marilyn Monroe. Celle-ci est indéniablement la nouvelle “pin-up” que le studio a en tête.. Après de nombreux seconds rôles, elle sort du succès de Niagara et surtout des Hommes préfèrent les blondes aux USA. Elle est en pleine construction de son propre mythe. Enfin, Lauren Bacall change ici de registre avec un certain bonheur. Après trois ans d’une pause interminable, l’icone du cinéma noir s’essaie non sans succès à un cinéma léger, lumineux et coloré.
Même si le jeu de Marilyn et Betty Grable est quelque peu limité, les deux poupées aux chevelures platines sont hilarantes en cocottes stupides et cupides. Evidemment, à la fin, tout rentre dans l’ordre puisque l’amour frappe forcément là où on ne l’attend pas, remettant en cause le projet de ces dames, respectant à la lettre l’adage : Tel est pris qui croyait prendre !
Comment épouser un millionnaire et la reconquête des salles en écran large
Succès considérable aux USA (5e annuel) et quatrième plus gros carton de Marilyn Monroe en France, Comment épouser un millionnaire est l’exemple même du combat hollywoodien pour colmater les brèches ouvertes par l’essor de la télévision et de l’American way of life (banlieue, automobile, et tourisme). Au début des années 50, la généralisation du tube cathodique a provoqué une vraie hémorragie et les trentenaires s’installent massivement dans des banlieues excentrées des centres villes. La Fox développera le Cinémascope pour inverser la tendance et ramener le public vers un écran large dès 1953. Si La tunique de Henry Koster est le premier film à bénéficier à l’écran du dispositif, c’est bel et bien Comment épouser un millionnaire qui sera la première production tournée en Scope.
Bref, Comment épouser un millionnaire est un film historique.
Critique de Virgile Dumez et Frédéric Mignard