Film noir situé au cœur de Téhéran, Chevalier noir séduit par la qualité de sa réalisation et l’implication de son casting de jeunes talents. A découvrir !
Synopsis : Iman et son jeune frère Payar vivent avec leur père dans un quartier du nord de Téhéran. Après la mort de leur mère, Iman cherche à tout prix à sortir de l’impasse d’une vie étouffante et profite de ses relations privilégiées avec la jeunesse dorée de Téhéran pour se lancer dans un petit trafic juteux. Mais ce qui semblait être le chemin vers un nouveau départ les entraîne dans une spirale qui va bouleverser leur destin.
Chevalier noir, un premier long franco-iranien
Critique : Artiste qui se partage sans cesse entre la France (où il a effectué sa formation et où il a participé à des installations vidéo) et son pays d’origine l’Iran, Emad Aleebrahim-Dehkordi a tourné quelques courts métrages remarqués dans des festivals vers la fin de la décennie 2010. Avec Chevalier noir (2022), il passe pour la première fois au long métrage de fiction dans un cadre un peu plus commercial, même si sa démarche continue à être celle d’un auteur.
Dans ce long métrage, l’artiste natif de Téhéran entend peindre le portrait de sa ville dans ses aspects les plus cachés et donc méconnus du grand public occidental. Dès les premiers plans qui suivent une moto dans les rues sombres de la capitale, Emad Aleebrahim-Dehkordi démontre un réel savoir-faire technique et s’inscrit délibérément dans une esthétique de film noir ou de thriller à l’américaine. Pourtant, lorsque l’intrigue s’amorce, le cinéaste opte plutôt pour de longs plans séquences suivant à la trace les personnages dans leurs évolutions. Dans ces moments-là, le réalisateur se rapproche davantage du travail naturaliste opéré par des auteurs comme les frères Dardenne, ou bien Gus Van Sant sur des films comme Elephant ou Paranoid Park.
Deux frères, deux visions de la jeunesse iranienne
Si le rythme général est plutôt lent, Chevalier noir n’est pourtant jamais dépourvu de tension. Effectivement, le scénario nous invite à suivre le basculement d’un jeune homme (très bon Iman Sayad Borhani) dans la délinquance et le trafic de drogues. Au départ simple fêtard qui dépanne ses copains, le garçon sans avenir entrevoit une porte de sortie en devenant un plus gros dealer et en se faisant ainsi du fric facilement.
Parallèlement, le spectateur est invité à suivre le parcours de son frère, un jeune boxeur bien plus équilibré qui entame une idylle avec une ancienne copine d’école de passage en Iran pour les vacances. Le petit couple en formation, par ailleurs charmant, est formé par deux acteurs de valeur qui se nomment Payar Allahyari et Masoumeh Beigi. Précisons que la justesse de l’interprétation de ce trio de tête est pour beaucoup dans le plaisir ressenti durant la projection.
Un film sur la drogue, réellement tourné à Téhéran
Ayant pris le temps de présenter chacun des protagonistes, Emad Aleebrahim-Dehkordi les plonge ensuite dans une descente aux enfers qui interviendra nécessairement sous une forme violente. Toutefois, le réalisateur s’interdit de terminer son long métrage par un drame trop radical, préférant l’art de la suggestion à travers une métaphore qu’on vous laissera découvrir. Alors que la musique n’était jusque-là qu’intradiégétique, le cinéaste ajoute sur le défilement du générique final une musique sombre qui s’élève jusqu’à un point paroxystique qui file la chair de poule. Un choix sacrément judicieux qui permet de terminer l’œuvre sur un point fort, malgré l’absence de drame marquant.
Dans tous les cas, le cinéaste a traité son sujet difficile – la drogue, omniprésente dans la société iranienne – avec beaucoup d’adresse. En ne montrant jamais directement les jeunes en train de se droguer, mais en insistant sur le résultat final – des corps affalés un peu partout – le cinéaste est parvenu à détourner la censure locale. Contrairement à un polar européen comme Les nuits de Mashhad (Ali Abbasi, 2022) qui a dû délocaliser son tournage en Jordanie, Chevalier noir a bien été réalisé à Téhéran sous le contrôle des autorités iraniennes.
Un portrait saisissant des nuits de la capitale iranienne
Pourtant, le portrait de la ville n’est guère à l’avantage du régime qui se veut exemplaire sur le plan de l’orthodoxie religieuse. Certes, les femmes sont bien voilées, mais Chevalier noir insiste sur la décadence de la haute société iranienne qui se perd toutes les nuits dans des fêtes alcoolisées et sous influence des drogues les plus dures. De même, le cinéaste montre avec force le déclassement d’une grande partie des habitants, tandis qu’une petite caste profite de tous les privilèges. Pas vraiment un plaidoyer en faveur du régime.
En tout état de cause, on peut être étonné qu’une telle œuvre, tout de même très sombre, puisse être tournée dans un pays toujours contrôlé par la censure. Chevalier noir est donc une première œuvre valeureuse qui mérite sérieusement le détour, malgré quelques petits défauts inhérents aux premiers essais (quelques scènes inutilement longues ou explicatives, une hésitation permanente à embrasser un genre plutôt qu’un autre).
Un Grand Prix à Angers qui est passé inaperçu en salles
Présenté au Festival Angers Premiers Plans en 2023, Chevalier noir y a remporté le Grand Prix du Jury, avant d’être proposé au public français à partir du 22 février 2023 par le distributeur indépendant Jour2fête. Présenté dans 50 salles sur toute la France, ce premier long a eu du mal à s’imposer au-dehors de Paris où il a réalisé une grande partie de sa carrière. Lors de son premier jour, le film a intéressé 1 491 spectateurs sur la France, dont un bon tiers sur l’unique région parisienne. A l’issue de sa première semaine d’exploitation, Chevalier noir avait attiré 9 284 clients. Ils furent trois fois moins en deuxième tournée avec 3 603 retardataires.
Après seulement cinq petites semaines à l’affiche, Chevalier noir n’a pu séduire que 14 762 aficionados de cinéma iranien. Le métrage a ensuite été édité en DVD uniquement, preuve du peu d’impact commercial d’une telle sortie. Toutefois, les cinéphiles pointus peuvent se pencher sur ce premier essai plutôt convaincant. Ils ne devraient pas être déçus.
Critique de Virgile Dumez
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Emad Aleebrahim-Dehkordi, Iman Sayad Borhani, Payar Allahyari, Masoumeh Beigi
Mots clés
Cinéma iranien, La drogue au cinéma, Les délinquants au cinéma, Les relations entre frères au cinéma