Western crépusculaire et radical, Brimstone déploie ses charmes vénéneux avec un talent fou, traitant avec pertinence du poids de la religion sur le destin des femmes dans le grand ouest américain. Le résultat est violent, mais d’une puissance rarement égalée.
Synopsis : Dans l’Ouest américain, à la fin du XIX siècle. Liz, une jeune femme d’une vingtaine d’années, mène une vie paisible auprès de sa famille. Mais sa vie va basculer le jour où un sinistre prêcheur leur rend visite. Liz devra prendre la fuite face à cet homme qui la traque sans répit depuis l’enfance…
Brimstone ou le retour du western européen
Critique : Grâce aux bonnes ventes internationales de son film de guerre Winter in Wartime (2008), le réalisateur néerlandais Martin Koolhoven a réussi à monter sa propre compagnie de production (N279 Entertainment) avec laquelle il envisage de tourner un western. S’il entend d’abord adapter un script préexistant, ce long travail ne le satisfait pas réellement et Koolhoven finit par écrire lui-même un traitement original.
Largement inspiré par des œuvres fondatrices comme La nuit du chasseur (Charles Laughton, 1955) ou encore le western italien Le grand silence (Sergio Corbucci, 1968), Brimstone (2016) s’intéresse au destin d’une jeune femme traquée par un pasteur au cœur du grand ouest américain. Structuré en quatre chapitres qui reprennent des épisodes de la Bible, le scénario avance volontairement à rebours. Ainsi, il nous présente d’abord une situation, avant de nous en expliquer la cause lors des segments suivants qui remontent peu à peu le temps.
Un Nouveau Monde entièrement fondé sur la violence
Nous sommes donc invités à suivre le périple douloureux d’une femme accusée d’abord de meurtre par un prêcheur dont on apprendra qu’il traque l’héroïne depuis son enfance (nous n’en dévoilerons pas plus pour éviter de gâcher les surprises de l’intrigue). Lors des séquences initiales, Martin Koolhoven annonce assez vite la couleur en livrant des séquences marquées par une extrême violence, aussi bien physique que psychologique. Dans cette description sans fard d’un Ouest américain sauvage, le cinéaste n’épargne personne et surtout pas les femmes dont la situation est décrite avec une violence terrible. Souvent maltraitées, celles-ci doivent obéir aux hommes qui leur imposent leur loi d’airain. Toutefois, Brimstone ne tombe pas dans le piège du tract féministe, puisqu’il décrit un monde où la violence s’exerce également entre hommes.
© 2016 N279 Entertainment, Backup Media, X-Filme, Prime Time, Studio Babelsberg, The Farm Film. All Rights Reserved.
Mieux, Brimstone en profite pour régler leur compte aux religieux de tout poil. Ainsi, la religion est bien décrite comme un moyen d’asservir le peuple afin de mieux le dominer. Le fameux pasteur au centre du film impose des règles strictes à ses ouailles, mais il se sert surtout des textes sacrés pour justifier ses propres perversions. Totalement sadique, obsédé par le sexe et incestueux, ce personnage ne possède guère de qualité et peut donc apparaître comme une figure démoniaque. Comme souvent, ce sont les prêcheurs de bonne parole qui se révèlent être les êtres les plus vils. On soulignera la prestation remarquable de Guy Pearce qui n’a pas hésité à devenir une incarnation du mal absolu, tel un croquemitaine de film d’horreur.
Les femmes, premières victimes des religions
Bien entendu, face à lui, les différentes actrices s’avèrent très convaincantes. Non seulement Dakota Fanning prouve qu’elle peut être une actrice puissante, mais elle est épaulée par la très impressionnante Emilia Jones (qui interprète le même personnage en plus jeune). Enfin, Carice van Houten est étonnante en femme du pasteur dont le destin sera forcément tragique.
Réalisé avec un talent certain pour créer une ambiance anxiogène, Brimstone profite de superbes paysages naturels dégottés en Espagne, mais aussi en Hongrie. Le cinéaste parvient ainsi à faire renaître le western européen jusque dans son aspect opératique, tout en étant magnifiquement photographié par le directeur de la photo Rogier Stoffers. Certains plans n’ont rien à envier à une autre œuvre féministe auquel on pense également, notamment lors du final, à savoir La leçon de piano (Jane Campion, 1993).
© 2016 N279 Entertainment, Backup Media, X-Filme, Prime Time, Studio Babelsberg, The Farm Film. All Rights Reserved.
Véritable brûlot contre l’intolérance religieuse et manifeste féministe anticipant de peu l’ère #MeToo, Brimstone est donc une œuvre puissante qui ne peut laisser personne indifférent. Projeté à la Mostra de Venise en 2016, Brimstone est reparti bredouille, mais fort d’une excellente réputation auprès des cinéphiles amateurs d’œuvres radicales. Distribué en France par The Jokers, le long-métrage très violent a écopé d’une interdiction aux moins de 16 ans qui parait tout à fait justifiée, même si son distributeur n’a pas apprécié cette classification.
Un échec injuste en salles
Diffusé sur 70 copies à partir du mercredi 22 mars 2017, Brimstone n’a pas eu l’écho tant attendu puisqu’ils ne furent que 20 654 amateurs de western crépusculaire à faire le déplacement. Voyant leurs salles désertes, la plupart des exploitants ont fait place nette dès la deuxième semaine où le métrage s’est effondré à 5 961 retardataires. La chute est rude et se poursuit lors de la troisième et dernière semaine d’une exploitation qui se conclue par un très décevant chiffre de 26 800 entrées.
Autant dire que personne n’a vraiment vu cette œuvre maudite pourtant magnifique lors de sa sortie initiale. Il a d’ailleurs fallu attendre la sortie vidéo pour qu’il puisse se bâtir une réputation en vidéo. L’éditeur The Jokers opte d’abord pour un double DVD et un blu-ray steelbook malgré le flop épique du film. On y trouve treize minutes de scènes supplémentaires finalisées, dans le ton de l’œuvre, qui apportent un aperçu bienvenu sur les coupes effectuées, y compris dans la violence. Les interview du cinéaste qui explique son envie de réaliser un western pour un premier long en anglais, mais aussi de Dakota Fanning, Guy Pearce, Kit Harington et du compositeur DJ Junkie XL dans son studio, dont la musique donne un cachet émotionnel réel au film, enrichissent ces éditions alors nécessaires.
© 2016 N279 Entertainment, Backup Media, X-Filme, Prime Time, Studio Babelsberg, The Farm Film. All Rights Reserved.
Depuis, le film a trouvé la légitimité d’une sortie en 4K UHD, preuve du soutien toujours indéfectible de The Jokers envers son poulain. Le vent a, effectivement tourné. Sorti avant #MeToo, son discours féministe n’avait pas percuté. Depuis sa première à Venise où il avait largement divisé et choqué, les nobles intentions de l’auteur, mêlées à la mode de l’ultra violence contemporaine, qui consiste à étaler les évidences, même les plus immondes, avaient donné une impression contrastée. Le western sombre, signé par un anonyme néerlandais, de plus de 2h20, avec une narration alambiquée, avait vraiment divisé. D’aucuns lui reprochaient ses abus gore, sa violence graphique, notamment infligée aux femmes. Mais ce parcours féminin tragique, où la femme objet, souvent outragée, vouée au mutisme littérale et métaphorique par le diktat masculin, a su prendre du galon auprès d’une nouvelle génération cinéphile plus encline à traîner le mythe américain du Grand Ouest dans la boue, même si cela implique maculer courageusement la religion dans ses sillons.
Le message est fort, mais à l’instar de quelques classiques des années 70, comme Les Portes du Paradis, peut-être trouvera-t-il une rédemption totale dans plusieurs décennies. En tout cas, en 2018, The Nightingale, passé après le scandale Weinstein, avec une femme derrière la caméra (la talentueuse Jennifer Kent, réalisatrice du surprenant The Babadook), réitèrera une réflexion assez proche, mais avec un écho médiatique amplifié par le contexte féministe. Sa thématique s’imposait aisément après la révélation des violences monstrueuses subies par les femmes d’hier et d’aujourd’hui, avec la libération de la parole, notamment à Hollywood. Brimstone, qui lui est qualitativement vraiment supérieur, ne lui en tiendra pas rigueur. Quelle expérience !
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 22 mars 2017
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© 2016 N279 Entertainment, Backup Media, X-Filme, Prime Time, Studio Babelsberg, The Farm Film / Affiche : Couramiaud ; Laurent Lufroy. Tous droits réservés.
Biographies +
Martin Koolhoven, Guy Pearce, Dakota Fanning, Sam Louwyck, Carice van Houten, Kit Harington, Frederick Schmidt, Emilia Jones
Mots clés
Cinéma néerlandais, La violence faite aux femmes, L’inceste au cinéma, Film féministe, Les violences conjugales au cinéma