Dans Barry Seal : American Traffic, Doug Liman approche l’histoire américaine et sa politique anti-communiste en Amérique du Sud avec fantaisie, humour, et un goût évident pour le vintage qui séduit. Le poids écrasant de la star qui retrouve le cockpit trente ans après Top Gun, lui, interpelle.
Synopsis : L’histoire vraie d’un trafiquant de drogue qui a œuvré pour la CIA et le cartel de Medellin dans les années 80.
Critique : Pour la première fois en une décennie, Tom Cruise n’est pas là pour sauver le monde. Il est même à l’affiche d’un film où il incarne un arriviste fasciné par l’argent. Certes, il agit pour préserver l’avenir de son épouse et ses enfants. Mais il est prêt à tout pour parvenir à dessein, notamment à faire entrer la cocaïne de Pablo Escobar aux USA. Est-il pour autant un salaud ?
Barry Seal : héros ou antihéros ?
L’affiche du film présenterait Barry Seal quasiment comme un héros : La CIA. La Maison-Blanche. Pablo Escobar. Un homme les a tous floués. Dans ce cas, il serait aisé de parler d’antihéros pour ce pilote de ligne, roi du double-jeu, devenu informateur pour la CIA, la DEA et passeur de drogue pour le cartel de Medellin.
L’ambiguïté est probablement tout le problème de ce film “d’inspiration” historique qui approche (de loin) le scandale Iran/Contra, le rôle opaque de la CIA dans sa lutte contre les cartels d’Amérique latine et la fâcheuse tendance de la Maison-Blanche de Reagan à s’associer en coulisses avec ces mêmes brigands pour contrecarrer la menace communiste en Amérique latine.
Une fanfaronnade estampillée Tom Cruise
L’aspect historique est en fait ici dérisoire. On y croit peu, moins en raison de ce qui est suggéré ou dit, qu’en raison du ton fun et décomplexé qui peut laisser perplexe quant à l’approche de la complexité de la problématique. C’est que Tom Cruise se lâche (le voilà à simuler une scène de sexe, baissant le pantalon et affichant ses fesses pour amuser ses enfants sur la piste d’un aéroport avant de grimper à bord de son avion). La star se plaît à jouer un roublard sans scrupules qui pactise avec le diable. Toutefois, jamais vous ne le verrez le nez dans la poudre, ni même tromper son épouse lors de ses escales internationales. C’est que Tom Cruise, même quand il joue un salaud, s’efforce de rendre son personnage charismatique et sympathique, identiquement à 99,9 % de ses précédents rôles.
Alors que la star aurait pu s’efforcer d’aborder cette personnalité forte de façon radicalement différente que ses derniers rôles, il s‘en empare avec le panache de ses comédies récentes (Night and Day), en fanfaronnant. Le charisme, la séduction, le sourire blanchi en permanence, y compris dans les scènes les plus critiques…
Dans Barry Seal, l’acteur ne se contente pas de faire du Tom Cruise lorsqu’il opère un virage à 90°, loin de ses exploits héroïques récents : il surjoue Tom Cruise, au détriment du divertissement qui honnêtement affiche bien des atouts pour satisfaire le spectateur. Acteur intemporel dans son obsession pour le jeunisme et les rôles plus vraiment de son âge (ne serait-ce pas en fait le retour au cockpit de la star de Top Gun, qui sait qu’un jour il reprendra les commandes de vol sur Top Gun 2 ?), Cruise retrouve les années 80 de sa gloire initiale.
Un échec prévisible au box-office
Le travail visuel et la réalisation volontairement vintage de Doug Liman lui vont tellement bien que l’acteur en profite pour faire le pont entre les époques. Si le cinéaste qui a déjà dirigé l’acteur dans Edge of Tomorrow réalise un boulot convaincant, rythmé et plein d’allant, on préférera, sur un sujet biopic politico-fantasmé similaire, l’approche espagnole du thriller de l’ombre L’homme aux Mille Visages. Plus de vraies gueules, moins de poses (l’épouse du personnage de Tom Cruise, Sarah Wight, est si fade !), et in fine, plus de bon cinéma.
Barry Seal : American Traffic, intitulé American Made aux USA est, avec Lion et agneaux de Robert Redford, le plus gros échec personnel du comédien avec 51M$ sur le territoire nord-américain entre 2000 et 2020. Il en sera de même en France. Le film stoppera son vol à 660 000 fans hardcore du comédien, loin du million qu’il a franchi systématiquement sur la plupart des films de son illustre carrière.
Critique de Frédéric Mignard