Sous ses dehors subversifs, Babygirl n’est qu’une coquille vide dépourvue de la moindre audace, confinée dans un puritanisme hypocrite. La chair est triste, hélas…
Synopsis : Romy, PDG d’une grande entreprise, a tout pour être heureuse : un mari aimant, deux filles épanouies et une carrière réussie. Mais un jour, elle rencontre un jeune stagiaire dans la société qu’elle dirige à New York. Elle entame avec lui une liaison torride, quitte à tout risquer pour réaliser ses fantasmes les plus enfouis…
Halina Reijn revisite le classique triangle amoureux
Critique : Actrice et productrice néerlandaise, Halina Reijn a créé sa propre structure de production (Man Up) en 2015 avec sa proche amie Carice van Houten. C’est grâce à cette société qu’elle est parvenue à réaliser son premier long métrage intitulé Instinct : liaison interdite (2019) qui abordait déjà des relations toxiques entre un homme et une femme. Le résultat a été diffusé aux Etats-Unis par le biais de la compagnie A24 spécialisée dans le cinéma indépendant audacieux.

© SND Distribution. All Rights Reserved.
Pour son troisième film après également Bodies Bodies Bodies (2022), Halina Reijn a bénéficié d’une coproduction américaine, toujours avec la firme A24 qui lui est fidèle depuis ses débuts. Celle-ci a donc rédigé le script de ce qui allait devenir Babygirl (2024), une nouvelle histoire de domination entre un homme et une femme. Cette fois-ci, la réalisatrice situe son long métrage au cœur de la haute bourgeoisie américaine, avec une Nicole Kidman à la tête d’une grande entreprise, tandis que son mari joué par Antonio Banderas est un metteur en scène de théâtre établi et renommé. Au cœur de cette classe de privilégiés vient se glisser un grain de sable en la personne d’un jeune stagiaire à la beauté juvénile interprété par Harris Dickinson.
Promotion canapé à l’envers
Eprise de ce jeune homme, la quinquagénaire va développer une relation toxique avec celui qui parvient à la révéler à elle-même. Ainsi, cette femme de pouvoir rêve de se soumettre au désir d’un homme qui la dominerait, tandis que son mari est un époux tendre et respectueux. Halina Reijn entend donc explorer la psyché de cette femme contradictoire, à la fois en totale maîtrise de son environnement, mais désireuse de lâcher prise pour pouvoir enfin connaître l’orgasme.
Tout d’abord, le spectateur est intrigué par ce personnage ambigu, puisque la réalisatrice fait de cette cheffe d’entreprise une femme de pouvoir qui ne se comporte pas nécessairement mieux que n’importe quel homme. Sa position dominante lui permet de transgresser certains tabous, comme le fait d’avoir une relation sexuelle régulière avec un subordonné. Malheureusement, cette base de départ ne débouche sur rien de vraiment passionnant car Babygirl nous vend de la transgression alors que rien de bien affriolant n’apparaîtra à l’écran.
La transgression pour les nuls
Pire, Babygirl représente parfaitement l’hypocrisie dans laquelle se love le cinéma d’aujourd’hui en se refusant à représenter le sexe autrement que comme un acte répréhensible. Ainsi, le personnage principal ne cesse de proclamer qu’elle est submergée par des fantasmes honteux, alors que tout ce qui nous est montré à l’écran relève de la fantaisie érotique somme toute innocente. Ainsi, rien n’est sulfureux dans ce Babygirl qui ferait passer Cinquante nuances de Grey (Sam Taylor-Johnson, 2015) pour un sommet du cinéma transgressif.
L’unique audace sera d’observer Nicole Kidman en train de gambader à quatre pattes devant son partenaire trente ans plus jeune qu’elle. L’actrice se dénude, tandis que son partenaire ne dévoile que son torse. Dans ce manifeste qui entend mettre en son centre le désir féminin, il est désolant de constater que les hommes sont systématiquement effacés du champ de l’érotisme. En réalité, à chaque fois que le personnage de Nicole Kidman connaît l’orgasme, il s’agit de scènes onanistes où le partenaire est rejeté en arrière-plan flou. En ce sens, le récent Emmanuelle (Audrey Diwan, 2024), tout féministe qu’il était, avait le mérite de valoriser la sensualité à deux.
Nicole Kidman constitue bien le seul attrait du film
Cette absence totale de complicité entre les partenaires ruine tout effort de sensualité et Babygirl ne propose aucun moment vraiment excitant, ce qui est un comble lorsque le long métrage porte sur le désir et les pulsions sexuelles irrépressibles. Il faut dire que le film n’est pas aidé par la prestation sans charme d’Harris Dickinson, dont on ne comprend jamais pourquoi il peut tant attirer sa supérieure, puisqu’il fait surtout assaut de fadeur. Réduit à un torse, le comédien n’est jamais crédible en maître dominateur. On ne peut guère dire mieux d’Antonio Banderas dont le rôle de mari est terriblement mal écrit.
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La seule qui s’en sort avec les honneurs est assurément Nicole Kidman qui donne tout pour son rôle et qui mérite en cela les prix et autres nominations qu’elle a obtenu, aussi bien à Venise qu’aux Golden Globes. De tous les plans, l’actrice ose se dénuder malgré l’âge avançant et évoque même son recours à la chirurgie esthétique à travers un passage assez troublant.
La fadeur comme étendard
Malheureusement, tous les personnages secondaires ne parviennent pas à exister. Et que dire de sa fille qui est une jeune lesbienne au look non genré, si ce n’est que ce personnage ne sert absolument à rien. Lorsque le drame se noue et évolue en pseudo thriller mou, le spectateur s’est déjà assoupi depuis un moment tant la tension est inexistante. D’ailleurs, la fin où tout rentre dans l’ordre vient confirmer l’aspect définitivement bourgeois du produit.
Comme bon nombre de films réalisés en leur temps par Adrian Lyne (et plus particulièrement le minable Proposition indécente de 1993 avec Robert Redford et Demi Moore auquel on pense beaucoup durant la projection), Babygirl n’est qu’une œuvre destinée à émoustiller le bourgeois sans jamais oser le bousculer dans ses certitudes. Le résultat est insipide, lisse, fade et typique d’un certain cinéma américain marqué par un puritanisme désagréable, n’envisageant la sexualité que comme un problème. Nicole Kidman, au sommet de son talent, méritait mieux que cet emballage creux.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 15 janvier 2025
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Biographies +
Halina Reijn, Nicole Kidman, Antonio Banderas, Dolly Wells, Harris Dickinson, Sophie Wilde
Mots clés
Cinéma américain, Erotique, L’emprise au cinéma, Le chantage au cinéma, Portrait de femme