Comédie kafkaïenne, After Hours vaut le détour pour sa description du New York noctambule des années 80 et sa réalisation absolument brillante, primée au festival de Cannes en 1986.
Synopsis : La nuit infernale d’un jeune informaticien, employé de banque et grand admirateur de Henry Miller, dans le quartier bohème de Soho, à New York…
Scorsese au fond du trou
Critique : En 1982, le réalisateur Martin Scorsese tourne La valse des pantins pour la somme astronomique de 20 millions de dollars, espérant conquérir le public grâce à l’association de Robert De Niro et Jerry Lewis. Le film est un bide sanglant qui ne rapporte même pas 2,5 millions de dollars au box-office américain. L’international ne compense aucunement ce désastre financier qui met Scorsese à genoux. Le réalisateur s’enfonce alors dans une terrible dépression, tout en devant lutter contre de nombreuses addictions accumulées au fil des années (un joyeux cocktail de drogues et d’alcool).
Au fond du trou, Martin Scorsese envisage sérieusement d’arrêter le cinéma et ne tourne pas pendant trois ans. Vers 1985, le réalisateur tente de monter un projet qui lui tient à cœur, à savoir La dernière tentation du Christ. Ne trouvant pas les financements nécessaires, il accepte la proposition d’Amy Robinson -interprète de Mean Streets-, désormais productrice, et de tourner ce After Hours d’après un script original de Joseph Minion, étudiant du département cinéma de Columbia University. Outre un statut de simple réalisateur (c’est la première fois qu’il n’est pas l’auteur du scénario), Scorsese y voit l’occasion de revenir à un cinéma indépendant à petit budget (un cinquième du budget de La valse des patins), à moindre stress, et aussi de pasticher le style d’Alfred Hitchcock et d’évoquer sa ville de New York sous un autre angle que celui des gangs et des malfrats.
Une comédie déjantée qui puise aux sources de Kafka et Hitchcock
Et de fait, After Hours est un véritable modèle d’horlogerie qui conduit le héros au cœur d’une intrigue kafkaïenne. Alors que le long-métrage se présente comme une comédie déjantée, Scorsese filme le tout comme s’il s’agissait d’un thriller paranoïaque. On retrouve notamment le fameux thème hitchcockien du quidam accusé à tort – ici il s’agit de cambriolages dans le quartier de Soho.
Motivé par sa rencontre nocturne avec une jeune femme excentrique (pimpante Rosanna Arquette), le jeune col blanc Paul Hackett (Griffin Dunne très juste) se retrouve embarqué dans des aventures rocambolesques qui l’éloignent toujours plus de chez lui. Le script reprend effectivement la structure des œuvres littéraires de Kafka en repoussant le personnage principal toujours plus loin de son but initial. Ici, le protagoniste perd malencontreusement son argent et se retrouve donc à la merci des étranges personnes qu’il rencontre.
La peinture du New York noctambule des années 80
De plus en plus délirantes au fur et à mesure qu’avance la nuit, ces mésaventures dépeignent une société new-yorkaise noctambule que Scorsese connaît parfaitement. Certes, le film est très souvent drôle, mais il peut également se voir aujourd’hui comme un documentaire sur une ville aussi complexe que le New York des années 80. Derrière la drôlerie des situations se dessine peu à peu le portrait d’un monde angoissant, fait de violence et peuplé d’habitants tous plus étranges les uns que les autres.
Scorsese se moque bien évidemment de ces yuppies qui apparaissent au cœur des années 80, mais il se fait aussi le peintre de l’underground artistique qui peuple des quartiers comme celui de Soho. Il évoque aussi la constitution de ces milices d’autodéfense qui entendent se faire justice en lieu et place d’une police corrompue. Il rejoint ainsi le constat posé par des cinéastes plus marqués à droite, mais entend démontrer l’absurdité de ces comportements.
Une réalisation magistrale, primée à Cannes
Toutefois, After Hours ne serait pas aussi réussi sans le brio absolu de sa réalisation. Scorsese semble tout simplement s’éclater dans ce long-métrage sans réelle contrainte. Sa caméra est délicieusement mobile et embrasse personnages et décors dans un même mouvement. Ce style n’est pourtant pas tape-à-l’œil et sert la logique cauchemardesque d’un film qui se déroule comme dans un rêve.
Véritable résurrection artistique et commerciale de Martin Scorsese, After Hours a certes rencontré un tout petit succès aux Etats-Unis, mais le long-métrage a marqué le public français lors de sa présentation cannoise en 1986. Auréolé de son prix de la mise en scène obtenu sur la Croisette, After Hours a cumulé plus d’un million d’entrées.
Un très beau succès qui allait être dépassé en 1986 aux USA et en 1987 en France par celui de La couleur de l’argent (1986), nouvelle commande avec Paul Newman et Tom Cruise. Le film cumulera plus de 52,2 millions de dollars de recettes rien qu’aux Etats-Unis et plus d’un million d’entrées en France. De quoi vraiment relancer la carrière d’un réalisateur au fond du trou deux ans auparavant.
Critique du film : Virgile Dumez
Le saviez-vous?
After Hours a été dévoilé sur la Croisette le 12 mai 1986, le même jour que Le sacrifice de Tarkovski et Max mon amour de Nagisa Oshima. Toutefois, les Etats-Unis avaient pu le découvrir en salle en septembre 1985, à une époque moins mondialisée qu’aujourd’hui.