D’une beauté plastique époustouflante, A Touch of zen est sans doute l’un des chefs-d’œuvre du wu xia-pian en s’affranchissant des règles du genre pour livrer une réflexion spirituelle de premier ordre.
Synopsis : Chine, sous la dynastie Ming. Gu Shengzai, vieux garçon lettré exerçant la profession de peintre et d’écrivain public, mène une vie tranquille avec sa mère, laquelle cherche à tout prix à marier son fils. Lorsqu’une nouvelle voisine vient s’installer dans la maison d’à côté, l’occasion est inespérée. Mais cette jeune fille mystérieuse n’est autre que Yang Huizhen, dont le père a été assassiné par la police politique du grand eunuque Wei et qui est depuis recherchée pour trahison…
Critique : Après le triomphe rencontré par L’hirondelle d’or (1966), le réalisateur King Hu choisit d’abandonner la Shaw Brothers et de s’exiler à Taïwan à la suite de son fidèle producteur Li Han-hsiang. Les deux hommes poursuivent ainsi leur fructueuse et juteuse collaboration avec Dragon Gate Inn (1967) qui est un nouveau triomphe commercial. Dès lors, King Hu semble de plus en plus confiant en ses capacités de cinéaste, tandis que son producteur lui offre des conditions de tournage idéales.
Le projet A Touch of Zen, de loin le plus ambitieux du réalisateur, va venir briser cette belle collaboration. Effectivement, King Hu est de plus en plus perfectionniste et semble incapable de clore un tournage débuté en 1968, mais réellement achevé trois ans plus tard. Le résultat est un film fleuve absolument inexploitable de plus de six heures qui seront ramenées à 3h20min. Toutefois, la version 4K restaurée et qui est désormais projetée ne dure que 2h59min. C’est celle qui a servi de base à cette chronique.
Atypique par sa durée, A Touch of zen l’est également par son contenu. Si le cinéaste continue à explorer le genre du wu xia-pian qu’il a contribué à modeler au milieu des années 60, il s’en éloigne aussi le plus possible par des audaces narratives et stylistiques. Cela commence dès le début puisque le réalisateur nous invite à suivre une première heure dépourvue du moindre combat. Bien au contraire, King Hu semble s’inspirer du cinéma de Sergio Leone en instaurant une atmosphère mystérieuse basée sur la lenteur excessive des plans. Il multiplie ainsi les longs panoramiques sur des paysages en ruines ou des villages déserts battus par les vents.
Les différents personnages errent dans ces sublimes décors sans que le spectateur ne comprenne vraiment ni les tenants, ni les aboutissants d’une intrigue cryptique. En réalité, les premiers éléments d’explication n’interviennent qu’au bout d’une heure et vingt minutes par le biais d’un flashback explicatif. On sent ici l’influence majeure d’Il était une fois dans l’Ouest, intégralement construit sur une histoire mystérieuse.
Une fois passée cette première heure hypnotique qui ne tient la route que par la beauté des images – ce qui est un véritable défi, au passage – le spectateur va peu à peu prendre conscience de l’originalité du spectacle qui lui est offert. Effectivement, l’intrigue à proprement parler n’a guère d’intérêt, mais elle sert simplement de fil rouge pour structurer un discours plus complexe sur l’opposition entre le matériel et le spirituel.
Tout d’abord, il est important de noter que le héros incarné par Chun Shih est plutôt atypique puisqu’il ne se bat jamais. Il s’agit avant tout d’un témoin des événements qui va ensuite devenir le metteur en scène des combats à venir. Il est en quelque sorte l’œil du réalisateur, celui qui arrive à déjouer ses adversaires par l’artifice et l’ingéniosité de ses mises en scène (voir la brillante séquence de l’attaque du fort). La force physique est ainsi battue en brèche par l’esprit. Cette thématique est encore développée dans la dernière demi-heure du film, particulièrement brillante. Dès lors, ce sont les moines qui prennent le relais et finissent par abattre les ennemis grâce à leur spiritualité et leur foi.
Le spectateur attentif remarquera que les personnages évoluent d’abord dans un cadre urbain lié à la civilisation, puis dans un espace naturel splendide (avec la séquence culte du combat au milieu de la forêt de bambous, largement copiée par Zhang Yimou dans Le secret des poignards volants), avant de se retrouver au milieu d’un paysage désertique. L’homme doit donc apprendre à se dépouiller de tout pour enfin connaître la félicité dans la spiritualité.
Cette richesse thématique fait de A Touch of zen un véritable film d’auteur qui risque donc de désarçonner le grand public venu assister à des combats spectaculaires. Certes, le réalisateur signe bien quelques séquences d’action efficaces, mais cela ne constitue en rien le cœur d’une œuvre plus zen qu’à l’accoutumée.
Souffrant parfois de défauts de construction sans doute liés à un montage compliqué (on note quelques erreurs et surtout d’étonnantes ellipses), le film n’est pas exempt de scories, mais il constitue assurément le chef-d’œuvre de son auteur, ne serait-ce que par la beauté quasi irréelle des images.
Gros échec public à sa sortie en Asie, le film fut finalement présenté au festival de Cannes en 1975 où il a reçu un Grand Prix Technique largement mérité. Malheureusement d’obscurs problèmes de droits, suite à la brouille entre le réalisateur et son producteur, ont bloqué sa sortie française jusqu’en 1986. Sorti au mois de juillet, le film fut un échec total. Il a finalement été restauré en 4K et l’éditeur-distributeur Carlotta a décidé de le ressortir au mois de juillet 2015 avant une diffusion en vidéo dans un superbe blu-ray. Il constitue à ce jour le meilleur moyen de découvrir cette œuvre exigeante, mais absolument majeure de King Hu.