Drame à suspense un peu trop théâtral, 30 minutes de sursis n’en demeure pas moins un premier film valeureux, porté par des acteurs formidables. A découvrir.
Synopsis : Un étudiant noir, Alan Newel, travaille dans un centre d’aide aux désespérés. Il reçoit l’appel d’une femme qui vient d’avaler une forte dose de soporifiques et refuse de dévoiler son nom et l’endroit où elle se trouve. Alan prévient aussitôt le directeur et la police, et pendant qu’ils effectuent des recherches, il écoute cette femme raconter sa vie…
Le premier film de cinéma de Sydney Pollack
Critique : Alors qu’il n’est encore qu’un simple réalisateur de télévision, Sydney Pollack se voit proposer la mise en scène de son premier long-métrage de cinéma. Il s’agit de 30 minutes de sursis (1965) qui est basé sur un script de Stirling Silliphant (à qui l’on doit déjà Le village des damnés en 1960). Le scénariste s’est lui-même inspiré d’un article publié dans Life Magazine et écrit par Shana Alexander. Pour Sydney Pollack l’occasion est belle puisque le script évoque une thématique sociale qui s’accorde parfaitement à ses idées personnelles, mais également parce que la production lui offre l’occasion de diriger deux stars oscarisées, à savoir Sidney Poitier et Anne Bancroft.
Tourné à Seattle pour les extérieurs et à Hollywood pour les intérieurs, 30 minutes de sursis bénéficie de quelques plans novateurs (notamment certaines vues de la ville prises depuis un hélicoptère, ce qui se faisait rarement), ainsi que d’un passage plus psychédélique lors de la séquence de boite de nuit, avec mouvements de caméras hystériques et montage haché. Pour autant, 30 minutes de sursis n’arrive pas toujours à s’affranchir totalement d’un style télévisuel. Effectivement, Sydney Pollack a été le premier à reconnaître qu’avec cette première tentative, il n’avait pas encore effectué sa mue artistique, de simple réalisateur télé à cinéaste complet.
Une œuvre fondée sur l’interprétation et un script solide
Ainsi, le métrage vaut essentiellement le détour pour la qualité de son interprétation – très bons acteurs, dont un Sidney Poitier très impliqué et une Anne Bancroft bouleversante en femme désespérée – ainsi que pour son script extrêmement bien construit. Débutant sur les chapeaux de roue par une situation tendue dont on se demande si elle tiendra sur la durée, le film propose ensuite plusieurs flashbacks qui permettent de mieux comprendre le geste désespéré de cette femme perdue. Ces séquences ont d’ailleurs tendance à faire basculer le métrage dans le mélodrame. On retrouve toutefois dès cette première œuvre la volonté de Sydney Pollack de construire des personnages féminins complexes. Il a ensuite continué dans cette voie durant toute sa carrière.
Sur le plan purement social, Sydney Pollack démontre l’importance de ces associations qui sont à l’écoute des gens suicidaires et initie une belle histoire d’amour à distance entre l’étudiant noir et la trentenaire suicidaire. S’il n’insiste jamais sur ce fait, il est important de signaler que cette potentielle romance se déroule entre un afro-américain et une blanche, ce qui n’allait pas nécessairement de soi à l’époque. Finalement, Pollack s’en sort sans trop de polémique car les deux acteurs ne sont jamais réunis à l’écran. Toutefois, l’idée que l’on peut parler d’amour sans faire attention à la couleur de peau des protagonistes est plutôt novatrice et audacieuse.
Un suspense bien mené, mais aujourd’hui oublié
Malgré quelques passages un peu lents et théâtraux, 30 minutes de sursis a le mérite d’intéresser le spectateur de bout en bout et de créer un réel suspense pour savoir si cette femme sera finalement sauvée. Le tout est également dynamisé par l’excellente partition jazzy de Quincy Jones. Les dernières séquences, même si un peu trop appuyées, permettent d’atteindre une réelle émotion et montrent donc déjà la capacité de Sydney Pollack à créer de l’empathie envers ses personnages grâce à un regard bienveillant, mais jamais niais.
Petit succès d’estime aux États-Unis, 30 minutes de sursis a glané quelques récompenses dont deux nominations aux Oscars et une aux Golden Globes en 1966. La France ne lui a pas réservé le même accueil avec une sortie très discrète en plein cœur du mois d’août 1966 pour un résultat anodin de 66 555 curieux sur l’ensemble du territoire national. Des miettes qui n’ont pas permis ensuite l’édition du film en vidéo, et ceci malgré la notoriété future du réalisateur. Sydney Pollack lui-même, sans renier totalement ce premier essai, estimait que son premier vrai film était Propriété interdite (1966). Pourtant, le long-métrage est loin d’être déshonorant et constitue une bonne entrée en matière au cœur d’une riche et intéressante filmographie.
Critique de Virgile Dumez