Victor Erice

Réalisateur, Scénariste, Producteur
Victor Erice sur le tournage de Fermer les yeux.

Personal Info

  • Nationalité : Espagnol
  • Date de naissance : 30 juin 1940, Karrantza, Biscaye (Espagne)

Biographie

Note des spectateurs :

Avec seulement 4 longs métrages en 50 ans, Victor Erice est l’une des légendes du cinéma espagnol. Simple, mais rigoureux, jamais dans la démonstration, toujours dans la captation des émotions d’une vie à tous les âges. Un maître.

Victor Erice est l’un des auteurs les plus rares mais également les plus précieux du cinéma espagnol, maintes fois célébré à Cannes. Au sein de son œuvre a priori chiche (quatre longs en 50 ans), cet amoureux du cinéma ne gaspille pas son inspiration ; il fait vivre une passion avec une parcimonie acétique qui lui dicte ses choix, à l’écart de ceux qu’imposent le cinéma d’auteur plus commercial et orgueilleux.

Victor Erice : la bande-annonce

Erice, jusque dans ses absences, nourrit une carrière cohérente qui force l’admiration, avec un effet miroir précieux pour tout cinéphile. Sa cinéphilie transpire à l’écran. Erudite et contemplative, elle est celle d’un auteur qui n’a pas oublié son regard d’enfant, dans les années 40 de l’Espagne de Franco. Il découvrait alors les productions américaines. Cette découverte du cinéma, il la filmera plusieurs fois, dans une boucle métacinématographique. Dans un cinéma de l’humain, il filme inlassablement les salles, qu’elles soient itinérantes comme dans L’esprit de la ruche (1973), en activité (El sur, 1983), ou abandonnées (Fermer les yeux, 2023). Il filme ceux qui composent l’image, derrière la caméra -réalisateurs, techniciens -, ou devant l’objectif, les acteurs et même une icone glamour en qui un homme simple consacrera tout son amour au risque d’avoir gâché sa vie réelle (Aurore Clément, dans El sur). A chaque fois, ressort sa dévotion pour cet art du visuel qu’il traite en peintre de la pellicule.

L’esprit de la ruche, un bijou de poésie au firmament du cinéma espagnol des années 70

Pour ce companero humble d’une Espagne fracturée, rien n’était acquis lorsqu’il quitte San Sebastian pour une carrière qui prendra quelques années à se mettre en place, dans les années 60, alors que sa vingtaine est désormais bien entamée.

Auteur de légende qui sera entretenue depuis son premier long métrage, L’esprit de la ruche, Coquillage d’or à San Sebastian, en 1973, par sa rareté, Victor Erice célèbre alors d’un coup de génie les dix ans de son diplôme de réalisateur. Entre temps, il s’est essayé au scénario, la publicité et a participé à la réalisation d’un épisode, des Défis, film en 3 segments, coréalisé par José Luis Egea et Claudio Guerin. Cela lui permet d’entamer une collaboration fructueuse avec le producteur légendaire Elias Querejeta (le cinéma de Carlos Saura) qui produira ses deux premiers longs.

L’esprit de la ruche connaît un retentissement mondial au gré des festivals. D’ailleurs, le festival de Cannes lui-même s’y intéresse et l’invite en 1974 à concourir au sein de la Semaine de la Critique. Mais le film devra attendre 1977 pour trouver une place dans nos cinémas, grâce aux efforts de Marin Karmitz et le succès de Cria Cuervos de Carlos Saura, également produit par Querejeta, à Cannes et en salle, en 1976. Avec près de 100 000 entrées dans une poignée de salles art et essai, L’esprit de la ruche se démarque et confirme le charisme de la jeune star de Cria Cuervos, Ana Torrent, qui tourne le film à 6-7 ans. Avant de la choisir pour le rôle principal, il lui demande si elle connaît Frankenstein. Elle lui répond oui, mais qu’elle ne l’a pas encore rencontré. Son choix était fait. Ils collaboreront ensemble sur un sketch d’un autre projet collectif dans les années 2010, et surtout en 2023 dans Fermer les yeux. La jeune fille de Cria Cuervos deviendra une star ibérique, tournant également dans le premier long d’Amenabar, Tesis (1996).

 

L'esprit de la ruche, affiche du film de Victor Erice

Affiche : Ferracci. Copyrights : 1973. Elías Querejeta Producciones Cinematográficas. All Rights Reserved.

 

1973, 1983, 1992…, au mieux, un film tous les dix ans

Poète de l’image, rigoureux et réfléchi, Victor Erice attend 1983 pour son second long métrage. Le Sud (El Sur) est une nouvelle collaboration avec le producteur Elias Querejeta. Cette fois-ci, Erice a pris du galon : son film est nommé à Cannes, en compétition officielle. Il en repart sans prix et de nouveau, il faudra pas moins de 5 années avant que les spectateurs français puissent le découvrir en salle. Colifilms, distributeur art et essai qui essaie de mettre en lumière le cinéma espagnol, et qui ressortira L’esprit de la ruche en 1990, présente discrètement le film en 1988 et trouvera 15 000 spectateurs à Paris, et pas moins de 50 000 spectateurs dans tout le pays. Encore un succès d’art et essai, malgré la discrétion de sa sortie.

Victor Erice considère le film comme inaccompli. Et pour cause, cette production autour des relations fille-père d’une durée d’1h40, aurait dû être accompagnée d’une deuxième partie, mais son compère Elias Querejeta ne parviendra jamais à en trouver le financement principal.

C’est donc logiquement en 1992 que le cinéaste présente son 3e long, Le songe de la lumière, documentaire de deux heures autour de la personnalité d’Antonio Lopez Garcia. Le peintre participe lui-même au scénario de ce chef d’œuvre de subtilité et de beauté. Le cinéaste a désormais 50 ans. Le Grand Prix à Cannes 92, ne rend pas l’exercice plus stimulant pour un public mainstream et c’est donc seulement 12 000 spectateurs qui goûtent au fruit de sa passion, via le distributeur Les Films sans Frontières.

Fermer les yeux, affiche du film de Victor Erice

© Tandem Films, Nautilus Films, Pecado Films et La mirada del adiós A.I.E. Tous droits réservés.

 

Les années 2010 de Victor Erice : un absent bien présent

Le songe de la lumière pose clairement, à l’instar de L’esprit de la ruche et El Sur, par bien des aspects rugueux (rythme, dépouillement de l’image, présentation des personnages dans un cadre naturaliste) des accointances avec le cinéma dAbbas Kiarostami. Celles-ci vont donner au critique Alain Bergala l’idée d’un projet artistique de correspondances, en lettres-films, alors que les deux hommes ne s’étaient même jamais parlé. Le concept est accueilli en France au Centre Pompidou (17/09/2007 – 8/01/2008).

C’est à l’issue de ces Correspondances que l’éditeur vidéo Carlotta, également distributeur en salle, propose une ressortie de L’esprit de la ruche, en février 2008. Victor Erice qui avait été oublié des cinéphiles suscite de nouveau un grand intérêt auprès du public, avec pas moins de 13 846 spectateurs qui demandent à être initiés. Le très beau bouche-à-oreille confirme l’impact de L’esprit de la ruche des décennies après sa sortie originale. Carlotta proposera une édition double DVD Collector, à la fin de l’année 2008, mais ne passera jamais au blu-ray, malgré la canonisation d’Erice, en 2015, avec un blu-ray chez Criterion aux USA. L’éditeur français sort néanmoins Le songe de la lumière en DVD, en 2010. Une édition devenue depuis rare et précieuse.

Le festival de Cannes se rappelle à lui en 2010. Victor Erice est invité à intégrer le jury du festival de Cannes, sous la présidence de Tim Burton. Un film proche de son cinéma, Oncle Boonmee, du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, reçoit la Palme.

L’effervescence autour de Victor Erice retombe à nouveau en France, faute d’actualité. Le cinéaste retourne à des projets locaux (installations artistiques pour des musées, pour présenter des œuvres d’Antonio Lopez ; série documentaire) ou des projets cinéphiliques internationaux. Ainsi, il réalise l’un des 7 segments du film collectif Ten Minutes Older : The Trumpet (2002); aux côtés de Chen Kaige, Werner Herzog, Jim Jarmusch, Aki Kaurismäki, Spike Lee et Wim Wenders. Le cinéaste allemand a lui-même initié le projet.

Marketing, affiche citation de Fermer les yeux (Victor Erice, août 2023)

© Haut et Court Distribution. Tandem Films, Nautilus Films, Pecado Films et La mirada del adiós A.I.E. Tous droits réservés.

Victor Erice met ensuite en boîte l’un des trois courts métrages de l’anthologie 3.11 Sense of home, à l’initiative de Naomi Kawase, aux côtés des réalisateurs Shunji Dodo et Catherine Cadou. En 2012, il travaille sur l’un des quatre épisodes de Centro Histórico, aux côtés de Pedro Costa, Manoel de Oliveira et Aki Kaurismäki (segment Vidros partidos).

Fermer les yeux et la polémique cannoise

En 2023, 50 ans après El Espíritu de la colmena, le cinéaste espagnol revient. Encore. Il envoie son film à Thierry Frémaux pour une place en compétition à Cannes ou dans une section parallèle. Ce 5e long qui lui est si cher, Erice cherche au moins à lui offrir une rampe de lancement prestigieuse. S’il ne va pas à Cannes, au moins ira-t-il à Locarno ou Venise. L’annonce de la projection de Fermer les yeux  dans le cadre anodin de Cannes Première, Erice la voit comme un coup de poignard. Frémaux ne l’a nullement prévenu et toutes les alternatives de prestige se ferment. Aussi, Erice boycotte le festival : il ne sera pas présent lors de la première mondiale de son film, contrairement aux acteurs. Son 5e long métrage est plébiscité et les critiques se demandent pourquoi pareille œuvre n’a pas été retenue pour la compétition. Dans une lettre ouverte, publiée dans le journal El Pais, l’auteur fait part de son indignation et explique les raisons de son absence.

En août 2023, Fermer les yeux sort en France chez Haut et Court. Les critiques sont dithyrambiques. D’une durée de près de 3 heures, avec des personnages matures, ce nouveau chef d’œuvre d’Erice attire 14 000 spectateurs dans seulement 72 salles. Un score remarquable quand Pedro Almodovaar, cinéaste de la “hype”, dans son format court, avec l’anthologie de deux moyens métrages de 30 minutes chacun, en réalise avec bien plus de publicité, 34 000 dans 245 salles.

Pas de doute, une fois encore, les spectateurs ont bien ouvert les yeux.

Frédéric Mignard

Filmographie :

Le cinéma espagnol sur CinéDweller

Le songe de la lumière, l'affiche du documentaire

© 1992 Euskal Media – Igeldo Zine Produkzioak – Instituto de la Cinematografía y de las Artes Audiovisuales (ICAA) – Maria Moreno P.C. / Affiche : Deleuse (agence) – Pierre Collier (affichiste). Tous droits réservés.

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