Note des spectateurs :

Gilles Botineau passe d’Aldo Maccione La Classe ! (Editions Christian Navarro, 2015) à celui qui a inventé le concept même de la classe… Philippe Clair. Ses 240 pages d’entretiens avec le regretté réalisateur de Plus beau que moi tu meurs peuvent être la lecture de l’été de cinéphile que vous attendiez. Authentique mais vrai ! Philippe Clair est disponible aux Editions Christian Navarro.

Il est toujours émouvant de découvrir un ouvrage sur une célébrité qui a contribué de son vivant à un livre carrière qu’il n’aura jamais l’opportunité de connaître l’édition de son vivant. Dans le cas de Philippe Clair, la mort soudaine du cinéaste est intervenue quelques semaines avant la parution de cette longue série d’entretiens que Gilles Botineau et le cinéaste ont échangés pendant de longues années, pour appréhender dans le détail une filmographie aussi exceptionnelle que maudite, ayant valu au cinéaste des succès formidables et l’opprobre de ses pairs qui n’ont jamais voulu reconnaître en lui son talent d’humoriste pied-noir décalé.

L’ouvrage est riche et porte sur une filmographie que les moins de trente ans auront bien du mal à imaginer, puisque l’ensemble de l’œuvre de Philippe Clair est passée dans l’invisibilité, y compris des succès populaires comme Plus beau que moi tu meurs ou Tais-toi quand tu parles, deux comédies franchouillardes du début des années 80 avec Aldo Maccione, bloqués dans les limbes du septième, en raison de conflits juridiques avec le producteur et ancien ami du cinéaste, Tarek Ben Ammar…

Philippe Clair, mort d’un grand nom de la comédie française

Les quadras, eux, se souviendront des diffusions télévisées des succès de Philippe Clair, innombrables dans les années 80 et 90. Mais depuis, la mauvaise réputation du cinéaste, son assimilation systématique à un style d’humour vieillot qui serait celui de Max Pécas, Michel Gérard ou Christian Gion, a joué contre le cinéaste. Il n’a plus pu tourner après 1990 et L’aventure extraordinaire d’un papa ordinaire, film de la maturité pour Aldo Maccione et le réalisateur : un bide à moins de 100 000 entrées France, que Gaumont avait tué dans son œuf.

Si tu vas à Rio tu meurs, affiche de Mascii

Illustrateur : © Mascii

Le livre a évidemment pour but de satisfaire la curiosité de cinéphile autour d’une personnalité méconnue, dans le but à mi-mot d’une éventuelle résurrection médiatique… Philippe Clair n’est-il pas de surcroît le fils du très hype David Boring, voix du groupe à la mode Naive New Beaters ? Le potentiel autour du réalisateur est énorme, puisqu’avec le temps plus personne n’est capable de mesurer son talent réel. Or des qualités, le monsieur n’en démord pas, il en avait… et beaucoup !

Authentique mais vrai ! Philippe Clair, un cinéaste drôle mais amer

Cet ouvrage passionnant reprend la chronologie d’une carrière. Elle tend vers un sentiment d’amertume au fil des expériences négatives. Elle est aussi animée par l’esprit de revanche d’un comique généreux qui a quand même un ego certain. Les pages se suivent et se ressemblent dans le tempérament râleur d’un artiste qui aurait initié beaucoup de choses, aurait souvent été trahi, pillé… Envieux de Jean-Marie Poiré ? Du succès des Charlots dont il n’a pas aimé le comportement durant le tournage ? Ils ont enchaîné des films avec son monteur, Claude Zidi, un autre traître qui finira césarisé, tournant avec des vedettes de premier plan…

Le cinéma de Philippe Clair

Illustrateurs : © Clément Hurel, Mascii, Hervé Morvan, Landi

La complicité entre Gilles Botineau qui se souvient parfois mieux de certains détails de la carrière de Clair, que l’auteur lui-même, est réelle. Les deux hommes échangent goulument autour d’une filmographie qu’ils apprécient tous les deux. Le cinéaste est fier de ses trouvailles (des gags, des titres qui ont animés les cours de récréation, aux gimmicks mémorables), à quelques films près qui lui ont échappés (Ces flics étranges venus d’ailleurs, 1979). Gilles Botineau à l’expertise du fan, partage derrière chacune de ses questions une critique souvent positive de l’œuvre en question. Il a raison : en y regardant de près, le cinéma de Philippe Clair est loin d’être anecdotique tant il est riche par ses gags, ses efforts de montage, de rythme, et même de composition de plans. Le travail est indéniable.

Le livre est animé par la nostalgie d’une époque révolue où l’on croisait des Alice Sapritch, Galabru et autres Pierre Doris dans des rôles surréalistes (Le Führer en folie). Outre le regard forcément émouvant du cinéaste qui fait revivre avec dynamisme et pléthore d’anecdotes, une époque d’activité palpitante, on doit souligner le plaisir du journaliste qui retrouve matière à passer en revue ses propres souvenirs de môme. Sa remarque sur la chanson de Jean-Jacques Lafon au générique de Si t’as besoin de rien, fais-moi signe, en est un exemple concret.

Le Führer en Folie, affiche du film

Illustrateur : © Clément Hurel

Authentique mais vrai ! Philippe Clair dit-il vraiment toute la vérité ?

Philippe Clair n’a pas la langue dans sa poche et règle quelques comptes ici et là (Marthe Villalonga et tous ceux qui l’ont snobé en ont pour leurs frais). Mais parfois, on se demande où, entre fiction et réalité, la vérité se situe. Quand Clair s’extasie d’avoir pu tourner avec Jerry Lewis (Par où t’es rentré ? On t’a pas vu sortir), aucune mention n’est faite du film de Michel Gérard, Retenez-moi où je fais un malheur, autre production française avec Michel Blanc et Charlotte de Turckheim, que Lewis avait tournée auparavant. La mémoire est forcément sélective.

Personnalité attachante, dont vous saurez tout de sa relation avec Bébel, Annie Girardot… Philippe Clair et son obsession des doubles, des sosies ou des jumeaux, parle également beaucoup de son alter ego italien, Aldo Maccione. La relation avec le (faux) tombeur des années 80 a été compliquée. Sa peinture d’un artiste dédaigneux, détesté des castings qui l’entouraient, est haute en couleur. Est-ce que cela casse le mythe d’Aldo la Classe ? Non. A juste titre, Philippe Clair et Gilles Botineau soulignent que les meilleurs films de l’acteur de T’es folle ou pas?, omniprésent dans les années 80, était bel et bien ses collaborations avec Philippe Clair qui parvenait à le diriger là où les autres le laissaient se compromettre dans des numéros en roue libre.

Parcourir les seize comédies du burlesque Philippe Clair, diablotin pied-noir du gag travaillé, écrit et chorégraphié, est un honneur partagé. On est heureux d’avoir partagé ces nombreux moments de vie sur cinquante ans, qui méritaient bien un si bel ouvrage.

Frédéric Mignard

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  • Titre : Authentique mais vrai ! Philippe Clair
  • Editeur : Christian Navarro
  • Auteur : Gilles Botineau
  • Sortie le 31 mars 2021
  • Environ 240 pages
  • Copyrights (photo couverture) : Gilles Botineau

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Plus beau que moi, tu meurs de Philippe Clair, avec Aldo Maccione

Illustrateur : © Mascii by Spadem