Apôtres d’un cinéma contemplatif proche de celui de Tarkovski et de Jarmusch, on ne peut que vous conseiller Vers la bataille, un premier film français tout à fait étonnant et ambitieux. A découvrir.
Synopsis : Vers 1860, Louis, un photographe, réussit à convaincre un général de l’armée française de l’envoyer au Mexique pour prendre des clichés de la guerre coloniale qui y fait rage. Sur place, perdu entre les lignes, toujours à contretemps, Louis est incapable de trouver les combats et de prendre le moindre cliché.
Sa rencontre avec Pinto un paysan mexicain auquel il va lier son destin, va le conduire à découvrir, non la gloire et l’argent, mais un moyen d’affronter les fantômes de son passé.
Vers la bataille, un projet audacieux
Critique : Après avoir réalisé pendant plus de dix ans une grosse dizaine de courts-métrages remarqués, le cinéaste Aurélien Vernhes-Lermusiaux est parvenu à monter son premier film sur un sujet pas forcément très vendeur puisqu’il s’agissait d’évoquer l’épopée tragique d’un photographe de guerre durant les conflits coloniaux qui ont ravagé le Mexique de la fin du 19ème siècle. Non seulement le projet est ambitieux, mais il pouvait également paraître un peu lointain au grand public actuel. On saluera donc le courage des producteurs Julien Naveau et Diana Ramos Medina qui ont cru en cette première tentative d’un réalisateur prometteur.
Dès le début de Vers la bataille, le sentiment qui domine le spectateur est celui de la découverte d’un réalisateur qui souhaite faire du cinéma comme autrefois dans les années 70. Ainsi, les plans sont très travaillés, visuellement splendides grâce à la très belle photographie de David Chambille, tandis que la musique moderne de Stuart Staples (du groupe culte Tindersticks) nous saisit d’emblée par son aspect enveloppant. Les amoureux du cinéma contemplatif de Tarkovski, Jarmusch ou encore Werner Herzog seront donc immédiatement en terrain connu et pourront s’émerveiller de certains plans séquences difficile à mettre en place, surtout au sein d’une économie qu’on imagine contrainte.
Un faux air de Dead Man
L’histoire de ce photographe qui cherche à immortaliser la guerre, mais qui ne parvient jamais au front nous renvoie directement au magnifique Dead Man (Jarmusch, 1995), d’autant que cette errance débouche également sur des moments mortifères. Parfois fort poétique, le cinéma d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux est sans doute encore trop marqué par ses influences (on songe au plan qui détaille un champ de bataille au ras du sol, comme autrefois les errances de Tarkovski), mais il démontre surtout un réel amour d’un cinéma intégral et dénué de toute contingence commerciale.
Film taiseux, Vers la bataille n’en touche pas moins le spectateur grâce à cette histoire de transmission entre le photographe en bout de course et le Mexicain qui lui a sauvé la vie. Il faut dire que le duo formé par Malik Zidi et Leynar Gomez fonctionne à merveille et que l’on ressent l’amitié qui se forge progressivement entre ces deux hommes qui ne parlent pourtant pas la même langue. Ici, on retrouve sans aucun doute l’influence du Dersou Ouzala (1975) d’Akira Kurosawa. On appréciera également la dénonciation de la diffusion des fausses informations qui débutait dès le 19ème siècle. Dès les prémices de la photographie, certains clichés étaient en réalité des mises en scène afin de tromper le grand public. Aurélien Vernhes-Lermusiaux, par ailleurs grand passionné de photographie, rappelle donc le statut toujours problématique de l’image, qu’elle soit documentaire ou non.
Un beau film malheureusement passé inaperçu
Mais ce qui touche particulièrement dans Vers la bataille vient de cette errance d’un homme au bout de son existence. Abîmé par la vie, cabossé par un vécu trop dur à porter, le photographe cherche à fixer la mort sur ses plaques photographiques, pour mieux l’amadouer et finalement l’embrasser. Cela donne lieu à un dernier plan fixe superbe qui confirme que le réalisateur est un artiste à suivre de très près.
Malheureusement sorti en période post-Covid alors que les salles d’art et essai étaient vides, Vers la bataille n’a pas eu l’écho qu’il méritait. Ils ne furent que 4 057 aventuriers du septième art dans les salles françaises. On notera d’ailleurs que par la suite, le film a été boudé par l’Académie des César, alors que le métrage fait sans aucun doute partie des meilleurs premiers films de l’année 2021. Nous, on vous le conseille chaudement.
Critique de Virgile Dumez