Adaptation très libre d’Alexandre Dumas, Vendetta est un divertissement hautement fantaisiste qui possède le charme des productions de l’âge d’or hollywoodien. Efficace.
Synopsis : Au XIXe siècle, en Corse. Le baron Colonna tue le comte Franchi, fait exécuter toute sa famille et détruire son château. Seuls survivants : les bébés siamois du comte Franchi qui viennent de naître, et qui sont aussitôt séparés par un médecin, ami du comte. L’un deux, Mario, est envoyé à Paris pour être élevé par une riche famille. Le second, Lucien, reste en Corse. Les années passent, les deux frères grandissent en ignorant l’existence l’un de l’autre.
Critique : Au début des années 40, le producteur Edward Small est déjà l’heureux créateur de plusieurs adaptations tirées de l’œuvre d’Alexandre Dumas. Il est notamment à l’origine des succès de Le comte de Monte Cristo (Lee, 1934), L’homme au masque de fer (Whale, 1939) et du Fils de Monte Cristo (Lee, 1940). Puisque le grand public est au rendez-vous, Edward Small commande un nouveau script à George Bruce qui s’empare cette fois-ci du livre Les frères Corses, publié en 1844.
Attention toutefois, le scénario ne prend pas réellement pour base le roman initial, mais bien plutôt sa transcription théâtrale créée en 1852 par le dramaturge irlandais Dion Boucicault. Notons au passage que l’extrême popularité de cette œuvre mineure de Dumas dans les pays anglo-saxons est liée à sa version théâtrale qui prend d’importantes libertés par rapport au roman d’origine. Pour être parfaitement clair, Dion Boucicault n’a repris que quelques idées du roman et a construit une intrigue totalement différente de celle de Dumas. C’est donc cette version où deux frères jumeaux connectés par un don de transmission de pensée s’engagent dans une vendetta pour venger la mort de leur famille qui a fait l’objet d’une adaptation en 1941.
La Corse présentée ici n’est bien évidemment qu’un décor exotique d’opérette qui n’entretient que peu de rapport avec la réalité. Une fois que cette donnée est intégrée, on peut raisonnablement prendre plaisir à suivre ces aventures rocambolesques où le fantastique s’invite à plusieurs reprises au sein d’un film d’aventures plus traditionnel. Ainsi, les auteurs ont recours à quelques miracles de la science – totalement impossibles à l’époque concernée – pour expliquer certains ressorts de l’intrigue. Cela donne un certain charme au long-métrage, et pour tout dire cette fantaisie n’empêche pas de goûter pleinement au drame intime qui se joue.
Ici, les auteurs réfléchissent une fois de plus au thème du double – déjà développé dans L’homme au masque de fer – et par extension à celui de l’identité. Elevés dans des milieux différents, les deux jumeaux réagissent donc différemment aux événements, tout en conservant des points communs. Les auteurs initient donc une réflexion sur les parts de l’acquis et de l’inné, mais aussi sur l’influence de l’entourage et du milieu social dans la définition de notre être profond. Certes, Vendetta ne va pas bien loin et se veut avant tout un spectacle divertissant et bondissant, mais ces esquisses de réflexion permettent de donner une plus-value au spectacle.
Si les péripéties sont finalement assez peu nombreuses, cela permet de mieux développer la psychologie des personnages et donc de favoriser l’implication du spectateur dans le drame qui se joue. Pour cela, Douglas Fairbanks Jr. prouve qu’il n’est pas qu’un athlète bondissant mais qu’il sait aussi jouer la comédie, dans un double rôle pas facile à tenir. Face à lui, la belle Ruth Warrick parvient à ne pas être une simple potiche. Mais bien entendu, on se souviendra surtout de la prestation formidable d’Akim Tamiroff en méchant d’anthologie.
Le réalisateur Gregory Ratoff se tire plutôt bien des séquences d’action et livre même un duel final à l’épée qui n’a pas à rougir avec celui des Aventures de Robin des bois (Curtiz, 1938) qui demeure la référence évidente du cinéaste. De son côté, Dimitri Tiomkin livre une partition musicale tout à fait correcte, avec une belle science du thème qui a été valorisée par une nomination à l’Oscar.
Sans être un incontournable du genre, Vendetta est donc un film d’aventures à l’ancienne qui bénéficie d’une écriture rigoureuse, d’une réalisation professionnelle et d’acteurs au diapason. Le public français n’a pu découvrir ce divertissement qu’après la Seconde Guerre mondiale et ils furent plus de 1,8 million de spectateurs à venir voir les cabrioles de Douglas Fairbanks Jr dans les salles de l’Hexagone à partir du mois d’octobre 1946.
Critique du film : Virgile Dumez