Hautement fantaisiste, L’homme au masque de fer trahit autant l’Histoire de France qu’Alexandre Dumas, mais propose un spectacle dynamique et fréquemment enthousiasmant.
Synopsis : Louis XIV a un frère jumeau recueilli par d’Artagnan et les trois mousquetaires : Philippe. Celui-ci tombe amoureux de la future reine, Marie-Thérèse. Scandale. Louis XIV fait enfermer son frère à la Bastille après lui avoir fait confectionner un masque de fer qui cachera ses traits.
Critique : En 1934, le producteur américain Edward Small rencontre un énorme succès grâce à une adaptation très réussie du Comte de Monte-Cristo, réalisée par Rowland V. Lee avec Robert Donat dans le rôle principal. Désireux de surfer sur ce succès, le producteur souhaite tourner rapidement une suite, mais il se heurte au refus de Robert Donat qui préfère partir tourner en Angleterre. Ne s’avouant pas vaincu, Edward Small met tout de même plusieurs années avant de parvenir à mettre en chantier L’homme au masque de fer.
Cette fois, le scénariste George Bruce a la lourde tâche d’adapter Le vicomte de Bragelonne, œuvre de près de 2000 pages d’Alexandre Dumas, formant la fin de la trilogie initiée par Les trois mousquetaires et Vingt ans après. L’esprit feuilletonesque du roman d’origine impose nécessairement des coupes sombres et des trahisons. Toutefois, George Bruce fait fort puisqu’il modifie de fond en comble l’intrigue initiale au point de reprendre certains personnages, mais en leur inventant un tout autre destin. De même, l’histoire de France est particulièrement malmenée par cette adaptation vraiment très fantaisiste sur ce point.
Le producteur Edward Small parvient à engager le réalisateur James Whale, plus connu pour ses films d’horreur (Frankenstein et La fiancée de Frankenstein) que ses films d’aventures, tandis qu’il emploie le Britannique Louis Hayward dans le double rôle principal. Une excellente idée tant l’acteur se love magnifiquement dans la peau d’un Louis XIV particulièrement maléfique et sadique.
Alexandre Dumas avait déjà tendance à se servir de la grande Histoire pour développer des intrigues attrayantes, mais le film est quant à lui un sommet en matière d’absurdité historique. Non content de livrer une vision simpliste et totalement fausse de la France de l’époque, il invente tout simplement des morts fantaisistes à des personnages clés de notre Histoire comme le surintendant Fouquet. Il faut donc clairement faire abstraction de ces errements pour pouvoir apprécier un spectacle par ailleurs bien mené.
En réalité, L’homme au masque de fer se rapproche surtout des sérials alors très populaires, avec un nombre impressionnant de péripéties, de retournements de situation et autres twists. Certes, James Whale n’est pas nécessairement à son aise dans la description des jeux de cours, mais il retrouve de sa superbe dès qu’il filme les souterrains parisiens, les geôles de la Bastille et, bien entendu son fameux masque de fer qui n’arrive qu’après une heure de métrage.
Il se tire habilement des effets spéciaux nécessaires pour réunir à l’écran Louis XIV et son double (deux fois Louis Hayward, donc), rendant crédible la prestation du comédien. Face à lui, la belle Joan Bennett est plutôt convaincante, mais c’est surtout Joseph Schildkraut qui nous marque dans une interprétation jubilatoire du retors Nicolas Fouquet. Il se hisse ici à la hauteur de comédiens comme Basil Rathbone (inoubliable méchant des Aventures de Robin des bois de Curtiz, l’année précédente).
Parfois un peu long et répétitif dans ses péripéties, L’homme au masque de fer n’en est pas moins un formidable exemple du savoir-faire hollywoodien en matière d’action dans les années 30. Pour peu que l’on retrouve son âme d’enfant, le long-métrage est tout à fait agréable à suivre, porté par une réalisation impeccable, des décors somptueux et des acteurs de premier plan.
Sorti avec succès aux Etats-Unis, le film n’a pu être diffusé en France avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Comme l’ensemble de la production hollywoodienne de l’époque, il a attendu la fin des hostilités pour être enfin projeté en France en 1949. Si Paris ne fut pas très réceptif, le public provincial en a fait un succès sur le long terme avec plus d’un million d’entrées sur le territoire national.
L’homme au masque de fer est à nouveau disponible en France grâce à l’édition d’un blu-ray à la copie magnifique par l’éditeur Rimini. Une aubaine pour tous les amoureux de l’âge d’or hollywoodien.
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Critique de Virgile Dumez