Film longtemps invisible, Un marteau pour les sorcières est un film tchèque puissant qui dénonce avec force une justice aux principes dévoyés par la religion et les intérêts politiques. A méditer.
Synopsis : Moravie, 1670. Pour avoir dérobé une hostie, croyant soigner sa vache ne donnant plus de lait, une vieille femme se fait accuser de sorcellerie. Le seigneur du pays fait alors venir un tribunal de l’Inquisition pour la juger. L’inquisiteur, Boblig von Edelstadt, s’appuie sur le célèbre manuel Malleus Maleficarum pour mener les interrogatoires. Mais, très vite, les tortures vont succéder aux dénonciations, et les bûchers vont s’allumer, toujours plus nombreux.
Le retour aux affaires d’un cinéaste malin
Critique : Cinéaste prestigieux qui œuvre depuis les années 30 en Tchécoslovaquie, Otakar Vávra est un personnage ambigu qui ne peut laisser indifférent. Faisant partie de l’avant-garde de gauche au début des années 30, Vávra a continué à tourner durant l’Occupation du pays par les nazis sans rencontrer le moindre problème. Après cette période trouble, il s’est engagé auprès du Parti communiste et a même fait partie des soutiens du coup de Prague de 1948 qui a mis en place le régime communiste en Tchécoslovaquie. L’homme n’a donc eu de cesse de louvoyer pour parvenir à se maintenir en place, tournant des films classiques en fonction de la demande.
Pourtant, lorsque la nouvelle vague tchèque déferle sur le pays, portée par de jeunes artistes audacieux, le vieux briscard se sent pousser des ailes et livre quelques films plus personnels et gonflés. Parmi eux, le plus important demeure Un marteau pour les sorcières (1970) qui est considéré à juste titre comme son film le plus abouti et surtout le plus engagé. Certes, il peut ici se réfugier derrière l’alibi de l’adaptation littéraire puisque le long-métrage est tiré du roman Le marteau des sorcières de Václav Kaplický publié en 1963. Le cinéaste peut également faire valoir que sa description de la chasse aux sorcières n’est valable que pour la Moravie (région tchèque) du 17ème siècle.
Un marteau pour les sorcières s’attaque au régime communiste par la métaphore
Pourtant, Un marteau pour les sorcières ne trompe personne puisque le film attaque de manière détournée, mais suffisamment explicite, les méthodes inquisitoriales des autorités communistes depuis les purges staliniennes jusqu’aux opérations d’épuration dans les pays satellites. Autant dire qu’il fallait un certain courage pour évoquer un tel sujet en plein cœur de la Tchécoslovaquie de l’époque. Le cinéaste l’a d’ailleurs payé en voyant son film retiré de l’affiche très rapidement, puis enterré pendant plusieurs décennies. Lui-même n’a pu revenir derrière une caméra que quatre ans plus tard en réalisant des œuvres historiques cette fois-ci conformes à la doxa du régime.
Réalisé de manière très classique par un Otakar Vávra en pleine possession de ses moyens, Un marteau pour les sorcières est déjà remarquable par son esthétique drapée dans un noir et blanc fortement contrasté. Avec ses cadrages soignés et ses quelques mouvements d’appareil discrets, le film ne fait point l’étalage de sa maestria formelle, mais entend décrire de la manière la plus sobre possible une situation historique scandaleuse. Seules concessions à un certain cinéma d’exploitation sulfureux, les quelques séquences de nudité féminine et surtout de tortures n’apparaissent pas comme gratuites tant elles apportent au contraire de la véracité à ce qui est raconté.
La religion comme cible
Otakar Vávra rejoint d’ailleurs l’idéologie communiste en s’en prenant violemment aux dérives de la religion, ici chrétienne. Il rappelle notamment qu’elle a été un puissant vecteur d’oppression masculine sur les femmes, conçues comme des êtres diaboliques en tant que tentatrices. Pourtant, ce que le cinéaste étale à l’écran, c’est avant tout la perversité d’ecclésiastiques qui se sentent au-dessus du commun des mortels mais qui en partagent les obsessions pour la chair et la luxure. Certains pourront d’ailleurs arguer du fait que le cinéaste n’y va pas de main morte avec sa description de l’inquisiteur, être odieux magnifiquement incarné par l’acteur Vladimír Smeral (lui-même connu dans son pays pour avoir été un stalinien convaincu, est-ce un hasard ?).
Pourtant, dans cette lutte de pouvoir, le cinéaste n’oublie pas de présenter la figure d’un ecclésiastique plus positif et humain (superbe Elo Romancik) qui va être l’objet de poursuites calomnieuses par l’inquisiteur. Comme toujours dans ce type de films, le spectateur ne peut qu’être révolté par les manœuvres traitresses utilisées par l’inquisiteur afin d’obtenir ce qu’il souhaite. Face à de telles injustices, on ne peut que se révolter, d’autant que le personnage de l’inquisiteur n’est ici qu’un homme médiocre, ignorant et qui jouit de sa position au détriment de la population entière.
Un marteau pour les sorcières s’en prend à toute justice expéditive et arbitraire
Bien entendu, derrière ce thème de la chasse aux sorcières du 17ème siècle, le spectateur pourra y voir des références aux méthodes employées par les communistes au pouvoir dans les pays d’Europe de l’Est dans la deuxième moitié du 20ème siècle. Mais le film ne peut-il pas nous donner aussi à réfléchir sur les actuels tribunaux médiatiques dressés sans discontinuer via les réseaux sociaux. Il s’agit comme à l’époque de remplacer la présomption d’innocence par celle de culpabilité.
Usant avec parcimonie d’une musique adéquate, Un marteau pour les sorcières se hisse graduellement parmi les grandes œuvres dénonçant une attitude qui compte parmi les plus méprisables qui soient : celle de s’arroger le droit de juger autrui au nom d’un principe supérieur qui n’est même pas clairement établi, le tout effectué par des gens qui ne sont eux-mêmes pas exempts de défauts. En cela, le long-métrage est toujours grandement d’actualité.
Interdit de diffusion jusqu’en 1989 en Tchécoslovaquie, Un marteau pour les sorcières n’a pas fait l’objet d’une exploitation cinéma en France. Il a donc fallu attendre cette année 2022 pour le voir édité en blu-ray par Artus Films dans une copie très correcte.
Critique de Virgile Dumez
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