Trust Me est le chef-d’œuvre de Hal Hartley, ce disciple tardif de Godard qui marqua le renouveau du cinéma indépendant américain dans les années 90. Une date dans son genre et un impératif pour tout cinéphile qui ne peut passer à côté de pareil bijou.
Synopsis : Le jour où Maria annonce à ses parents qu’elle est enceinte et désire abandonner ses études, son père, choqué, meurt d’une attaque. Démarre alors pour l’adolescente une période de doute entre une mère vindicative et l’amour d’un homme ténébreux qui va à jamais changer sa vie.
Trust me, le chef-d’œuvre absolu de toute une génération
Critique : Hal Hartley a connu un succès considérable en 1992 dans le circuit art et essai grâce à Trust me, une histoire d’amour décalée au ton indéniablement indépendant qui n’est pas sans rappeler la douce insolence d’un Godard et la sensibilité de Jarmusch. Trois mois plus tard, Gilles Jacob sélectionnait Simple Men, son troisième film, en compétition cannoise. Une nouvelle réussite couronnée par un succès émérite, alors que parallèlement, plus confidentiellement, un distributeur nous proposait de découvrir The Unbelievable Truth, sa première œuvre, et une anthologie de courts métrages exploitée sous le titre du plus long segment, Surviving Desire. C’est ainsi qu’en moins d’un an la France découvrait un auteur majeur, à la pellicule empreinte de nostalgie et de solitude, qui fit pourtant l’effet d’un pétard mouillé puisque le prolifique dandy du cinéma arty américain allait connaître une célébrité éclair. Effectivement, aucun des films qui suivirent (Flirt, Amateur, avec Isabelle Huppert, ou l’inégal Henry Fool pour ne citer que les derniers longs à avoir pu sortir sur nos écrans) ne marqua les esprits.
Un couple parmi les plus beaux et les plus singuliers de l’histoire du cinéma
Près de trois décennies plus tard, que reste-t-il de Hal Hartley dans les esprits des cinéphiles ? Encore et toujours Trust (titre original américain), l’inépuisable romance intello entre une adolescente ignorante à la recherche du vrai sens de la vie, qui tue symboliquement son père, décédé d’une attaque, le jour où elle lui annonce sa grossesse, et un adulte désenchanté qui se sent inadapté pour vivre dans la société qu’on lui impose.
Cette rencontre au firmament qui finira en une émouvante leçon de culture et d’humanité, prend à rebrousse-poil les codes du teen movie, l’adolescente s’ouvrant aux mots et aux sens des choses et l’adulte, lui, se laissant aller à aimer dans un monde chaotique aux effluves atmosphérique d’une dystopie sur le monde du travail.
Ces deux acteurs, ce sont Martin Donovan, fort de son important charisme de comédien bourru, et Adrienne Shelly, la fougueuse adolescente qui irradie l’écran à chacune de ses apparitions, devenue égérie d’une génération, avant son décès, d’un assassinat, alors qu’elle démarrait une carrière prometteuse en tant que réalisatrice.
Les deux acteurs, à la rencontre lumineuse, offrent à la caméra une composition toute en retenue et instaurent un climat de bienveillance au milieu de personnages secondaires azimutés, à commencer par la mère revêche de l’héroïne qui lui fait subir une vengeance délicieuse de méchanceté, après le décès du père, et ensuite le père du héros, tortionnaire violent, aimant humilier son rejeton qui largement dépassé la vingtaine. On se délecte de leur amour naissant jusqu’au générique de fin explosif, au sens propre et figuré.
Dystopie d’un monde qui fonce vers la mondialisation
Ces deux personnages que dix ans séparent s’aiment à leur manière dans un monde décadent qui ne tourne pas très rond. Entre les crises familiales et les névroses de l’Américain moyen, Hal Hartley dépeint un monde en déliquescence où règnent la peur paranoïaque de la guerre nucléaire et les dérèglements d’un système capitaliste qui fonce volontairement dans la mondialisation agressive que le cinéaste dynamite avec talent.
Bijou de famille
Avec Trust me, Hal Hartley nous convie dans sa famille cinématographique, une famille peuplée de visages et de noms récurrents, comme celui d’Adrienne Shelly, déjà présente au générique de The Unbelievable Truth. Jeune patriarche du groupe, Hal Hartley s’impose comme l’artiste indépendant tout-puissant, ne dérogeant pas à la règle établie par la Nouvelle Vague, à savoir qu’un film est le produit d’un auteur de l’écriture jusqu’au montage. Ainsi Trust me fut son triomphe personnel. De quoi faire exulter le monsieur avant sa grande débâcle à la fin des années 90.
Le saviez-vous ?
Sortie le 4 mars 1992 dans 5 salles parisiennes (les 3 Balzac, le Ciné Beaubourg, 14 Juillet Odéon, 14 Juillet Parnasse, La Bastille), Trust Me réalisait 10 520 entrées en première semaine. Le bijou allait tenir un an en salle, exactement 52 semaines, dans moins de 5 salles, et allait finir sa carrière à 60 320 spectateurs. Un score remarquable pour une sortie indépendante.
Critique : Frédéric Mignard