The Pillow Book orchestre une danse d’amour et de mort fétichiste qui fascine par sa beauté esthétique et son incroyable richesse thématique. Un chef-d’œuvre malheureusement passé inaperçu.
Synopsis : La fille d’un calligraphe célèbre, qui autrefois lui avait souhaité son anniversaire en lui calligraphiant ses vœux sur le visage, reprend le flambeau et écrit des poèmes sur le corps de son amant, Jérôme. Devenu jaloux, Jérôme met en scène un faux suicide qui aboutit à sa mort. La jeune femme pleure la mort de son amant et écrit un poème érotique sur son corps avant de l’enterrer. L’éditeur exhume le corps de Jérôme et fait de sa peau un précieux livre de chevet.
Peter Greenaway fait un petit tour en Asie
Critique : Après s’être penché sur une thématique théâtrale avec The baby of Mâcon (1993), le cinéaste britannique Peter Greenaway se tourne en 1996 vers la calligraphie qui mêle dans un même élan littérature, pouvoir des mots et fascination pour l’écriture avec The Pillow Book. Pour rédiger son scénario, le réalisateur s’est largement inspiré des Notes de chevet de l’auteure Sei Shōnagon, femme de lettres japonaise du 10ème siècle. Cette œuvre est d’ailleurs considérée par beaucoup comme étant l’une des premières de la littérature à s’affirmer en tant que fragmentaire. Il s’agit avant tout d’un recueil de poésies, mais aussi de réflexions et de listes, ce qui correspond parfaitement à l’état d’esprit de Peter Greenaway, depuis toujours fasciné par les énumérations.
Grand cinéaste formaliste, le britannique compose ses plans comme les pages d’un livre richement enluminé. Ainsi, il multiplie les inserts à l’intérieur de l’image, soit sous forme de split screen, soit en incrustant des phrases à même la pellicule. De cette accumulation naît une esthétique à la fois baroque et rigoureuse. Depuis toujours fasciné par les mots et les chiffres, ainsi que par la rigueur de la démonstration mathématique, Greenaway se devait de rencontrer un jour l’Asie, terre de grande rectitude morale et de traditions immuables. L’ambiance fétichiste qui se dégage du Japon et de ses habitants ne pouvait qu’inspirer un auteur obsédé par la composition rigoureuse de ses plans et par les désordres de la chair.
The Pillow Book, un film-puzzle obsessionnel
Comme à son habitude, le cinéaste construit son film comme un puzzle qui mène invariablement à la transgression (ici encore la chair humaine est transfigurée en œuvre d’art morbide). Avançant à coups de contradictions, The Pillow Book célèbre l’intellect par la chair et impose la déviance par un dispositif formel très élaboré. Alliance peu commune entre idée et incarnation, la calligraphie devient le terrain idéal d’un jeu sexuel et mortel dans lequel le metteur en scène-démiurge jette ses personnages, tous en quête d’un absolu introuvable.
Transcendé par une photographie somptueuse de Sacha Vierny et les très belles chansons de Guesch Patti (Blonde, La Marquise et La Chinoise, toutes issues de son quatrième album datant de 1995), le métrage déploie ses fastes visuels et sonores pour mieux nous entrainer dans sa spirale érotico-mortifère. De quoi irriter les habituels détracteurs du cinéaste et combler ses plus ardents défenseurs. Quoi que l’on en pense, on ne peut que s’incliner devant l’originalité du sujet (jamais abordé au cinéma de cette façon) et la richesse thématique de son traitement.
Un joli succès du cinéma d’auteur
Présenté dans quelques festivals, The Pillow Book a glané le Prix du meilleur réalisateur à Seattle en 1997, ainsi que ceux du meilleur film et de la meilleure photographie à Sitges en 1996. Lors de sa sortie américaine, The Pillow Book a attiré les cinéphiles avec un joli score de 2,3 M$ (soit 4,2 M$ au cours de 2023), ce qui n’était pas gagné d’avance au vu du sujet.
En France, le long-métrage a été proposé en salles le 15 janvier 1997 et devait ainsi affronter la concurrence du Lost Highway de David Lynch qui risquait d’attirer le même public de cinéphiles exigeants. Pour sa première semaine parisienne, The Pillow Book a séduit 19 872 spectateurs et le métrage s’est ensuite plutôt bien maintenu jusqu’à cumuler 74 300 entrées dans la capitale.
En France, The Pillow Book débarque en 15ème position du box-office avec 41 162 calligraphes dans les salles obscures. La semaine suivante est encore à un niveau satisfaisant et le drame expérimental franchit la barre des 100 000 spectateurs en un mois de présence à l’écran. Par la suite, le film a continué à générer 10 000 tickets déchirés par semaine jusqu’à atteindre 178 003 entrées. The Pillow Book n’a ensuite été édité qu’une seule fois en VHS, puis au format DVD. On attend donc avec impatience qu’un éditeur valeureux revisite la filmographie passionnante d’un des plus grands auteurs britanniques de ces quatre dernières décennies.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 15 janvier 1997
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