The Innocents ausculte la face sombre de l’enfance au cœur d’une ambiance anxiogène et parfois malsaine, sublimée par une réalisation magistrale. A découvrir pour les amateurs d’œuvres radicales.
Synopsis : Un été, quatre enfants se découvrent d’étonnants pouvoirs et jouent à tester leurs limites, loin du regard des adultes. Mais ce qui semblait être un jeu d’enfants, prend peu à peu une tournure inquiétante…
Un sujet plus très original, mais traité de manière intelligente
Critique : Collaborateur et scénariste attitré du cinéaste Joachim Trier pour qui il a signé notamment les scripts de bijoux comme Oslo, 31 août (2011) et de Thelma (2017), Eskil Vogt cherche également à s’imposer comme réalisateur depuis quelques années. Il a ainsi tourné un premier long (le drame Blind : Un rêve éveillé en 2014) qui ne laissait aucunement présager de la puissance de suggestion de son nouveau bébé : le très intrigant et dérangeant The Innocents (2021). Alors qu’il a déjà exploré le fantastique avec le scénario de Thelma qui s’attachait à suivre les pas d’une adolescente aux pouvoirs extraordinaires, Vogt reprend cette thématique, mais en l’appliquant cette fois-ci à l’enfance.
Le réalisateur nous invite donc à suivre la découverte par quatre gamins âgés de 7 à 11 ans de leurs pouvoirs paranormaux. Une thématique qui n’a plus rien d’original puisque la décennie dernière n’a eu de cesse de nous conter des histoires similaires, généralement appliquées au moment charnière de l’adolescence, telle une métaphore à peine déguisée des bouleversements hormonaux à l’œuvre lors de cette phase délicate de l’existence. Certains films pour un public jeune ont également traité de l’apparition de super-pouvoirs chez des enfants, mais généralement de manière ludique et légère.
Les innocents aux mains sales
Ce qui n’est absolument pas le cas de The Innocents, sorte de cauchemar éveillé qui convie le spectateur à revivre ses angoisses d’enfant et ses expériences passées quant au monde qui l’entoure, parfois teintées de sadisme et de manque d’empathie. Quel enfant n’a pas fait preuve de cruauté gratuite envers un animal ou envers l’un de ses proches, non pas par méchanceté, mais par volonté d’expérimenter ? C’est à partir de ce constat que Eskil Vogt a construit son intrigue fondée sur l’absence de notion de bien et de mal chez l’enfant.
Cette innocence qui est signifiée par le titre n’est ici aucunement synonyme d’angélisme, mais bien d’absence de référent moral. Découvrant de nouvelles capacités, les quatre bambins vont d’abord s’amuser de leurs pouvoirs, avant de s’en servir dans des buts nettement moins avouables. Le jeune garçon va même peu à peu développer des tendances psychotiques qui nous renvoient aux thématiques développées dans l’excellent Chronicle (Trank, 2012). Que se passerait-il si un grand pouvoir échouait dans les mains d’un déséquilibré ou du moins ici d’un enfant en grande souffrance psychologique, rejeté de tous par sa simple couleur de peau ?
The Innocents crée un malaise persistant
Toutefois, ce qui rend vraiment The Innocents intéressant n’est pas tant la thématique abordée, devenue aujourd’hui assez courante, que le traitement opéré par un réalisateur qui maîtrise parfaitement la forme de son projet. Dès les premières images, le spectateur est pris par une ambiance pesante et sombre renforcée par la localisation de ces barres d’immeubles non loin d’une grande forêt. Les expériences menées par la petite Ida sur sa sœur autiste Anna (exceptionnelle Alva Brynsmo Ramstad qui est d’une véracité impressionnante) mettent déjà mal à l’aise par leur cruauté. Cela ne s’arrange guère lorsque les bambins choisissent de s’en prendre à un gentil chat qui passe par-là. Dès l’entame, le cinéaste présente l’enfance sans concession, comme un terrain de jeu et d’expérimentation permanent et surtout détaché de toute moralité.
Les choses ne font que se gâter lorsque le jeune garçon incarné avec justesse par Sam Ashraf perd pied sur le plan psychologique, devenant une menace pour son entourage immédiat et les gens de la cité. Dès lors, le cinéaste met en place un affrontement plutôt original où les assauts télékinésiques sont signifiés par le jeu des gamins, sans renfort d’effets spéciaux. Pour autant, la séquence finale est d’une belle efficacité et l’on y croit dur comme fer.
Un film qui a brillé en festival
Magnifié par une réalisation superbe, une caméra virevoltante et qui valorise les formes épurées des immeubles environnants, porté par une bande-son lourde et anxiogène, The Innocents réussit à emporter le spectateur dans son vertige amoral. On se situe ainsi au confluent des œuvres de Stephen King et de Sa Majesté des mouches de William Golding. Cette très belle surprise a été récompensée lors de nombreux festivals dont l’Etrange Festival 2021 et celui de Gérardmer (Prix du public et prix de la critique, dans un grand élan réconciliateur).
The Innocents a même eu droit à une sortie discrète en salles début février 2022 avec un résultat peu enthousiasmant de 22 584 amateurs d’étrangeté filmique sur l’ensemble du territoire. Depuis, le métrage est sorti en DVD et en blu-ray et on vous conseille fortement d’en faire l’acquisition.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 9 février 2022
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Eskil Vogt, Ellen Dorrit Petersen, Rakel Lenora Fløttum, Alva Brynsmo Ramstad, Sam Ashraf, Mina Yasmin Bremseth Asheim