Avec Tel père, tel fils, Hirokazu Kore-eda tient un propos très fin sur les liens familiaux et l’amour parental, et signe sans doute son film le plus émouvant, tout en étant fidèle à son art.
Synopsis : Ryoata, un architecte obsédé par la réussite professionnelle, forme avec sa jeune épouse et leur fils de six ans une famille idéale. Jusqu’au jour où il reçoit un appel téléphonique de la maternité dans laquelle était né leur enfant…
Le fils de l’autre
Critique : Neuf ans après Nobody Knows, qui valut un prix d’interprétation cannois à son jeune interprète, Hirokazu Kore-eda s’intéresse à une autre histoire de famille. Les spectateurs français reconnaitront ici la trame de La Vie est un long fleuve tranquille (Étienne Chatilliez, 1988), qui voyait deux familles perturbées par l’annonce d’une inversion de bébés dans une maternité, plusieurs années auparavant… Le cinéaste japonais reprend cette idée de base en mettant en scène Ryoata, un architecte qui ne pense qu’à son travail et son ascension sociale, formant avec sa douce compagne et leur gamin de six ans l’archétype de la famille modèle, jusqu’au jour où les repères volent en éclats quand on leur apprend que deux nourrissons ont été échangés à l’hôpital où l’enfant est né…
Hirokazu Kore-eda réussit un ton de comédie de situations lorsqu’il oppose la personnalité des deux pères : le yuppie forcené de travail et de réussite, voulant un destin similaire pour sa progéniture, contraste avec le papa farceur et puéril mais affectif dans la seconde famille (le truculent Lily Franky, futur père arnaqueur dans Une affaire de famille). Un rituel glacial se met alors en œuvre, qui voit l’échange progressif puis définitif des deux enfants, au nom d’une sacralisation des liens de sang. Tel père, tel fils déborde d’humanité et de pudeur contenue. « En tournant ce film, j’avais envie d’évoquer la vraie signification des liens du sang, car c’est une problématique qui me tient à cœur », avait déclaré le réalisateur dans le dossier de presse.
Tel père, tel fils est un sommet d’émotion et de délicatesse
Le récit culmine avec une séquence qui voit le fils (révélé adoptif) de Ryota échouant à un concours de piano au grand désespoir de son père qui n’y voit qu’une confirmation qu’il n’est pas sa propre progéniture ; vers la fin du métrage, le même enfant le fuira quand il sera en contact avec lui… Juste avant que Ryota ne réalise l’adoration que le garçon lui vouait en consultant divers clichés photographiques : superbe plan fixe, émouvant et juste. Sans discours moralisateur ni sentences, Hirokazu Kore-eda tient un propos très fin sur les liens familiaux et l’amour parental, qui tombait à pic, pour le public français, à un moment où une partie de la population, rigide et intolérante, se focalisait sur le lien naturel pour rejeter le mariage et l’adoption pour les couples du même sexe.
« Qui c’est le père ? Celui qui a fait l’enfant ou celui qui paye ? », demandait Marius à César dans la trilogie de Pagnol. « Le père, c’est celui qui aime ». Plus de quatre-vingts ans après, la comédie dramatique de Hirokazu Kore-eda enrichit cette thématique. Le film est bien servi par ses interprètes, dont Masaharu Fukuyama, chanteur célèbre au Japon, et qui trouvait là son premier grand rôle à l’écran. Kore-eda le dirigera à nouveau dans son thriller The Third Murder, en 2017. Tel père, tel fils reste sans doute l’œuvre la plus touchante de Kore-eda, plus accessible que Notre petite sœur ou Après la tempête, films au demeurant admirables. Présenté au Festival de Cannes 2013, Tel père, tel fils y obtint le Prix du Jury, ainsi qu’une mention pour le Prix œcuménique. Cinq ans plus tard, Kore-eda devait décrocher la Palme d’or avec Une affaire de famille.
Critique de Gérard Crespo