Véritable conte féérique, Sampo, le jour où la Terre gela est un bijou méconnu du cinéma soviétique et une œuvre majeure du grand Alexandre Ptouchko. A découvrir.
Synopsis : Dans un beau pays du Nord, le bûcheron Lemminkainen rencontre la belle Anniki, sœur du forgeron Ilmarinen qui connaît le secret de fabrication du Sampo, une roche magique produisant l’abondance. Non loin de là, sur l’île de Pohjola, peuplée de gnomes et de trolls, la sorcière Louhi désire augmenter sa puissance grâce au Sampo. Elle fait alors enlever Anniki afin d’attirer Ilmarinen sur ses terres.
Sampo, un film symbole de la coexistence pacifique
Critique : A partir de 1956, l’URSS change de trajectoire sous l’impulsion de Nikita Khrouchtchev et du 20ème Congrès du Parti Communiste de l’Union Soviétique qui critique ouvertement la politique de Staline et lui préfère l’idée de la coexistence pacifique. Il s’agit d’une nouvelle étape dans la guerre froide que se livrent alors l’URSS et les Etats-Unis, avec des tentatives plus fréquentes de dialogue et d’ouverture. Le cinéma étant toujours considéré par le régime soviétique comme un levier politique majeur, il est décidé de concrétiser un accord entre Mosfilm, compagnie d’Etat au service du pouvoir communiste, et Suomi-Filmi, la firme cinématographique la plus importante de Finlande. Pour mémoire, la Finlande est alors un pays situé en dehors du rideau de fer et la coproduction envisagée devient un parfait moyen d’illustrer ce nouveau rapprochement voulu entre l’Est et l’Ouest.
Afin de séduire les Finlandais, les producteurs soviétiques proposent d’adapter pour la première fois au cinéma le Kalevala, vaste poème épique rédigé au 19ème siècle par le médecin Elias Lönnrot qui a compilé des centaines de récits légendaires finnois qui se transmettaient autrefois à l’oral. Cet ouvrage a été ensuite récupéré par les nationalistes finlandais qui en ont fait leur oriflamme et tous les jeunes Finlandais se doivent donc de connaître sur le bout des doigts les aventures des héros que sont Väinämöinen, Lemminkäinen, Ilmarinen ou encore Annikki qui luttent contre les agissements de la sorcière Louhi.
Comment parvenir à ramasser une œuvre littéraire monumentale ?
Il était plutôt étrange de choisir cette œuvre monumentale, absolument inadaptable tel quel puisque constitué d’éléments narratifs disparates. Dès lors, le premier défi à relever était de tailler à la serpe dans le récit originel pour en retenir une histoire qui soit cohérente sur une heure et demie. Les nombreux scénaristes soviétiques ont ici été épaulés par des spécialistes finlandais qui ont contribué à la véracité historique nécessaire à la reconstitution du passé de la nation finlandaise. Sur ce point, la réussite est patente, même si les Finlandais n’ont jamais aimé ce long-métrage qui mélange trop à leur goût leur mythologie nationale avec les aspirations poétiques du cinéaste russe Alexandre Ptouchko.
Et de fait, en lieu et place d’une œuvre épique, le réalisateur a préféré opter pour un style féérique qui correspond davantage à son goût personnel. Pour mémoire, le réalisateur est connu à l’époque pour avoir tourné deux énormes succès – y compris en Finlande – qui s’intitulent La Fleur de pierre (1946) et Le Tour du monde de Sadko (1953). En matière d’épopée nationaliste, il n’est pas non plus un novice puisqu’il est le réalisateur du Géant de la steppe (1956). Apparemment, tout était fait pour que Sampo, le jour où la Terre gela (1959) devienne une œuvre culte aussi bien pour les Finlandais que pour les Russes.
Sampo, un tournage long de près de deux ans
En réalité, rien ne s’est passé comme prévu avec un tournage interminable étalé sur près de deux ans entre 1957 et 1959, mais surtout à cause de la réaction très mitigée des Finlandais à la découverte du résultat final, très éloigné de l’œuvre matricielle qu’ils chérissent tant. Pour notre part, la découverte de Sampo se trouve débarrassée de toute arrière-pensée nationaliste et le spectateur d’aujourd’hui peut donc profiter pleinement du spectacle offert par un vrai magicien du cinéma.
Avec son soin maniaque quant aux éclairages, ses paysages splendides, ses décors gigantesques encore rehaussés par des toiles peintes de toute beauté et l’ingéniosité de ses effets spéciaux, Sampo, le jour où la Terre gela s’impose comme un véritable bijou de poésie. Certes, le réalisateur ne cherche aucunement à approfondir la psychologie de ses personnages, qui sont bons ou mauvais, mais il s’empare avec maestria du genre féérique pour livrer une vision poétique du monde. Proposant des dizaines d’idées géniales par plan, Alexandre Ptouchko s’affranchit des lois de la logique pour se laisser guider par son inspiration, tout en reprenant à son compte les meilleurs passages du Kalevala qu’il rend accessible au plus grand nombre.
Une suite ininterrompue de séquences poétiques magnifiques
Souvent appelé le Walt Disney soviétique, Alexandre Ptouchko succombe encore une fois à la citation du maître du dessin-animé à travers une séquence transposant en live un passage où Blanche-Neige chante avec des animaux. C’est assurément kitsch, mais absolument craquant en même temps, pour peu qu’on laisse son esprit cynique au placard. Par la suite, les séquences les plus réussies se déroulent dans le royaume maudit de Pohjola où règne la terrible sorcière, magistralement incarnée par la grande comédienne de théâtre Anna Orotchko. Sa prestation est tout à fait remarquable et elle compense l’extrême fadeur dégagée par l’acteur novice Andris Osins, dont ce fut la seule expérience au grand écran. Heureusement, tous les autres acteurs assurent, dans un style théâtral typique de l’époque.
Suite de tableaux tous plus inspirés les uns que les autres, Sampo, le jour où la Terre gela propose des séquences incroyables où un cheval de feu laboure un champ semé de serpents, où les vents de la région sont prisonniers de ballons géants et où le héros libère le soleil pour faire renaître le jour sur le monde. Si l’on ajoute à cela des arbres qui prennent la parole, une route qui s’anime afin de répondre à la supplique de la mère du héros abattu, les amateurs de fantastique comprendront aisément que ce long-métrage leur est destiné.
Certes, tout n’est pas réussi dans Sampo et certains passages s’avèrent un peu plus kitsch que d’autres, mais l’ensemble possède un souffle poétique que l’on voit rarement sur un écran. Tourné en quatre versions différentes (deux pour le marché finlandais en version classique ou Sovscope, et deux pour le marché soviétique en version classique ou Sovscope), Sampo n’est tout bonnement jamais sorti dans les salles françaises. Nous avons donc découvert ce film magnifique par les bons soins de l’éditeur Artus qui propose dans son Mediabook la version finlandaise en Sovscope (la copie soviétique du Cinémascope).
Critique de Virgile Dumez
Acheter le Mediabook sur le site de l’éditeur
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Alexandre Ptouchko, Andris Osins, Anna Orotchko, Urho Somersalmi, Ivan Voronov
Mots clés
Cinéma finlandais, Cinéma soviétique, Les sorcières au cinéma, Les contes de fées au cinéma