Portrait de femme(s) sensible et délicat, ce premier film en costumes de Céline Sciamma ne manque pas de charme et traite avec sobriété les thèmes des interdits et de l’inspiration artistique.
Synopsis : 1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d’Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Héloïse résiste à son destin d’épouse en refusant de poser. Marianne va devoir la peindre en secret. Introduite auprès d’elle en tant que dame de compagnie, elle la regarde.
Céline Sciamma sonde à nouveau les troubles du désir
Critique : Céline Sciamma est l’une des auteures les plus subtiles du cinéma français depuis Naissance des pieuvres, touchant portrait de la jeunesse contemporaine. Si elle n’a tourné à ce jour que quatre longs métrages, son inspiration a été constante et elle a collaboré en tant que scénariste à des projets aboutis tels Quand on a 17 ans et Ma vie de Courgette.
On pouvait être surpris de la voir choisir un film en costumes dont l’action se déroule sur une île bretonne de la fin du XVIIIe siècle, elle qui est davantage associée à des thématiques contemporaines. Portrait de la jeune fille en feu est pourtant fidèle à son univers : le trouble du désir qui s’empare des deux jeunes femmes fait écho aux expériences initiatrices dans Naissance des pieuvres, la complicité féminine répond aux moments de partage des adolescentes de Bande de filles, le traitement de l’identité et de l’orientation sexuelles prolonge la réflexion menée dans Tomboy et Quand on a 17 ans.
Premier film en costumes de Céline Sciamma
Comme François Truffaut dans Les Deux anglaises et le continent ou Jacques Rivette dans La Religieuse, le choix d’un cadre historique est donc aussi un moyen de montrer l’universalité des sentiments et des pulsions. Pourtant, Céline Sciamma a opéré un véritable travail de recherche historique, avec l’artiste Hélène Delmaire, le personnage de Marianne étant inspiré des nombreuses femmes peintres qui ont pu assumer leur art pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, ont bénéficié d’une liberté personnelle plus grande que les autres femmes, mais ont dû se mouler dans des conventions artistiques encore plus strictes que pour leurs homologues masculins.
Cet aspect prévaut dans la première moitié du film qui voit Marianne à l’œuvre, et rappellera l’activité de Michel Piccoli dans La Belle Noiseuse de Jacques Rivette ou Jacques Dutronc dans Van Gogh de Maurice Pialat : « Nous nous sommes plongées, en trio avec la chef-opératrice Claire Mathon dans cette double question, celle de la création des tableaux et celle de leur exécution dans le film. Comment les filmer et dans quelle temporalité. Nous avons tourné différentes étapes de travail et uniquement en plans-séquences. Le choix d’absence d’ellipse est structurant. Nous avons choisi le temps réel des gestes du travail, son rythme plutôt que la synthèse permise par le montage », a précisé Céline Sciamma.
Une œuvre de bonne tenue, mais…
L’originalité du récit est que Marianne a eu pour consignes de peindre en cachette, et de nuit, les regards échangés le jour entre Héloïse et elle prenant alors une double signification compte tenu du lien qui unit progressivement les protagonistes. La seconde partie du métrage, plus fiévreuse, sans être pour autant délibérément romanesque, prend une autre dimension, la tournure féministe du film se faisant plus manifeste.
L’ensemble de l’œuvre est de bonne tenue, avec une élégance d’écriture et un sens de la composition picturale des plans en cohérence avec l’histoire. D’où vient alors le fait que Portrait de la jeune fille en feu nous laisse un peu sur notre faim ? Adèle Haenel et Noémie Merlant (déjà artiste dans le récent Curiosa de Lou Jeunet) ne sont pas en cause, mais on aurait souhaité davantage de fougue dans le jeu d’actrices trop pétrifié. Le dispositif un brin théâtral semble parfois statique et le choix de certains plans (les paysages de plage et de mer) ou des situations ne manqueront pas d’éveiller le souvenir de La Leçon de piano et Portrait de femme de Jane Campion. Force est de reconnaître que la comparaison ne tourne pas toujours à l’avantage de Céline Sciamma.
En dépit de ces réserves, Portrait de la jeune fille en feu, première sélection en compétition cannoise de la cinéaste, est un film à voir.
Sorties du mercredi 18 septembre 2019
Critique : Gérard Crespo