Avec Miséricorde, Alain Guiraudie confirme sa singularité dans le paysage français, tout en obtenant son plus gros succès public. L’œuvre, à l’étrangeté fascinante, le mérite.
Synopsis : Jérémie revient à Saint-Martial pour l’enterrement de son ancien patron boulanger. Il s’installe quelques jours chez Martine, sa veuve. Mais entre une disparition mystérieuse, un voisin menaçant et un abbé aux intentions étranges, son court séjour au village prend une tournure inattendue…
Miséricorde, un étrange thriller provincial
Critique : Après la comédie légère et décalée Viens je t’emmène (2022), le cinéaste iconoclaste Alain Guiraudie revient avec Miséricorde, une œuvre plus sérieuse qui semble reprendre le fil de sa filmographie en mode Rester vertical (2016). L’intrigue se fonde d’ailleurs en partie sur son propre roman intitulé Rabalaïre (2021). Toujours désireux de travailler les archétypes pour mieux les détourner, le réalisateur s’empare ici d’un genre très classique, à savoir le thriller provincial, pour mieux le détourner de son but premier.
© 2024 CG Cinéma, Scala Films, Arte France Cinéma, Andergraun Films, Rosa Filmes / Photographie : Xavier Lambours. Tous droits réservés.
Si l’histoire pourrait a priori être associée au nom de Claude Chabrol pour son empreinte provinciale, ses secrets d’alcôve et ses non-dits, Miséricorde ne chasse aucunement sur les terres du maître du suspense français. En réalité, si l’on devait chercher des correspondances, on les trouverait plutôt du côté du Pasolini de Théorème (1968) par l’idée d’un personnage autour duquel circule des désirs inavoués et inavouables. On songe aussi aux œuvres provinciales d’André Téchiné par la confrontation parfois brutale de protagonistes aux desseins foncièrement contradictoires.
Beaucoup de mystères pour une totale liberté du spectateur
Toutefois, si ces références nous viennent à l’esprit, Miséricorde n’est aucunement réductible à ces éléments, d’autant que le cinéaste lui-même n’y a sans doute pas pensé. Alain Guiraudie fait partie de ces rares auteurs dont on reconnaît assez facilement la patte par sa volonté de bousculer systématiquement les attentes du spectateur. Ainsi, il met en avant un mystère entourant le retour de ce jeune homme – très bon Félix Kysyl – dans son village natal, mais n’explique finalement rien de ses intentions réelles.
Est-il là pour se venger, pour entretenir une passion non assouvie ou tout simplement pour revivre en partie les belles années de son adolescence ? Alain Guiraudie a eu l’intelligence de laisser le spectateur libre d’interpréter les intentions des différents protagonistes. Cela enrichit considérablement l’œuvre, mais peut également désarçonner par l’errance parfois gênante d’un script en légère roue libre dans son dernier tiers.
Une œuvre qui défie la morale traditionnelle
En tout cas, le réalisateur continue à creuser un sillon qui lui est propre, interrogeant notamment la tolérance du spectateur face à des enjeux moraux complexes. Il ose faire d’un prêtre le porteur d’une morale finalement très peu catholique – Jacques Develay est une vraie révélation pour le coup – et l’on retrouve ici le goût de la provocation du réalisateur iconoclaste. Pas certain que les ligues chrétiennes traditionnalistes apprécient. Enfin, le cinéaste s’évertue à faire circuler le désir charnel d’un personnage à l’autre, sans jamais filmer le sexe. Pour autant, certains plans respirent la sensualité. Il suffit d’un simple tee-shirt ôté, d’une intrusion furtive dans une salle de bain où le héros se douche ou même d’une lutte entre deux hommes pour que le désir semble s’insérer par-delà les images filmées.
© 2024 CG Cinéma, Scala Films, Arte France Cinéma, Andergraun Films, Rosa Filmes / Photographie : Xavier Lambours. Tous droits réservés.
Se terminant sur une scène apaisée qui ne semble rien résoudre, Miséricorde est donc une œuvre étrange, parfois relâchée dans son script, mais qui a le mérite de ne ressembler qu’à elle-même, ce qui est suffisamment rare pour être signalé. Le tout est filmé de manière sobre, avec un goût prononcé pour des teintes automnales et une musique discrète mais efficace de Marc Verdaguer.
Miséricorde, le plus gros succès de son auteur
Présenté avec succès dans le cadre du cycle Cannes Première au Festival de Cannes 2024, Miséricorde a été distribué par Les Films du Losange dès le 16 octobre 2024 dans une combinaison raisonnable de 175 salles, sans doute aidé par la présence au casting de Catherine Frot, même si celle-ci n’est pas particulièrement mise en avant sur le visuel de l’affiche. Pour sa première semaine, le long métrage étonne tout le monde en réunissant 80 068 spectateurs, ce qui est plus que Rester vertical et Viens je t’emmène sur l’ensemble de leur carrière. Ce démarrage dépasse également celui de L’inconnu du lac (2013) qui était jusqu’ici le plus beau succès du réalisateur.
Mieux, en deuxième semaine, Miséricorde confirme son pouvoir d’attraction avec une chute modérée de 36 % et 51 217 retardataires. Cumulant en quinze jours 131 000 entrées, le polar décalé est d’ores et déjà le plus gros succès de son cinéaste. En troisième septaine, le film glane encore 33 028 curieux et sa carrière va ensuite s’étaler sur la durée. A la mi-novembre, Miséricorde franchit la barre symbolique des 200 000 spectateurs et continue sa progression durant de longues semaines jusqu’à obtenir 228 841 entrées.
Ce beau succès surprise a été confirmé par huit nominations aux César 2025, même si on peut regretter l’absence de récompense, preuve que l’académie demeure frileuse dès qu’il s’agit de primer l’originalité. En tout cas, cela offre au film la possibilité d’être édité à la fois en DVD et en blu-ray chez Blaq Out. On vous le conseille.
Critique de Virgile Dumez
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Affiche Check Morris, d’après affiche de Xavier Lambours © 2024 CG Cinéma, Scala Films, Arte France Cinéma, Andergraun Films, Rosa FIlms. All Rights Reserved.
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Alain Guiraudie, Catherine Frot, David Ayala, Jean-Baptiste Durand, Félix Kysyl, Jacques Develay