Œuvre matricielle qui annonce les obsessions de Scorsese, Mean streets vaut le détour par son regard sans concession sur le New York des bas-fonds.
Synopsis : New York, au début des années 70, au milieu de l’univers mafieux de la Petite Italie, la dérive de deux amis irresponsables hantés par la religion, Johnny Boy et Charlie.
Le premier film personnel de son auteur
Critique : Tout droit venu du cinéma indépendant américain, le cinéaste Martin Scorsese vient d’achever le tournage d’un film policier intitulé Bertha Boxcar (1972), œuvre plutôt impersonnelle, lorsqu’un ami lui suggère de tourner un film plus proche de son univers. Scorsese ressort alors du placard un scénario écrit dans les années 60 intitulé Season of the witch qui sert de base à ce qui deviendra Mean streets. Tourné en seulement 25 jours, ce nouveau long-métrage qui suit le parcours chaotique, puis finalement tragique d’une bande de petits malfrats new-yorkais apparaît aujourd’hui comme la matrice d’une œuvre incroyablement personnelle. Si le réalisateur n’a pas encore les moyens de soigner chaque plan (on trouve quand même quelques belles trouvailles visuelles réalisées avec les moyens du bord comme le plan où Harvey Keitel se déplace, soul, dans une boîte de nuit miteuse), Mean streets lui donne l’occasion de créer un univers typique de son Little Italy natal. On y trouve notamment des arnaques à la petite semaine, mais aussi des exécutions sommaires et une violence inhérente aux bas-fonds d’une ville décrite comme gangrénée par le crime. Loin de présenter un New York de carte postale, Scorsese décrit un enfer urbain rongé par le communautarisme et le crime organisé.
Mean Streets, affiche reprise 2014 – #23765 © MCMLXXIII by Warner Bros. Inc. All Rights Reserved
Un classique qui porte l’estampille Martin Scorsese
Au milieu de cette description quasi documentaire, le cinéaste initie une réflexion religieuse sur la souffrance et la culpabilité (autant de thèmes qui seront développés dans ses œuvres suivantes et qui seront également au centre des préoccupations d’un autre cinéaste indépendant nommé Abel Ferrara). Scorsese, persuadé qu’il ne devait pas utiliser une bande originale classique, a pioché dans sa discothèque et enchaîne donc les tubes des années 60, ancrant davantage encore son film dans une réalité bien tangible. Là encore, cette inspiration en apparence très simple deviendra une marque de fabrique du réalisateur par la suite (et sera largement pillée par d’autres réalisateurs). Enfin, Mean streets permet la rencontre avec Robert de Niro. Si ce dernier n’a qu’un rôle secondaire dans ce tout premier film en commun, l’acteur deviendra rapidement l’alter ego du cinéaste et remplacera Harvey Keitel dans cette fonction essentielle pour l’auteur (voir l’actuelle collaboration entre Scorsese et Di Caprio, en remplacement de De Niro). Par-delà ses réels défauts (quelques errements narratifs et de nombreuses imperfections formelles), Mean streets demeure une œuvre importante par son regard sans concession sur les bas-fonds new-yorkais. Un incontournable du film indépendant des années 70.
Critique de Virgile Dumez
Création © Jouineau Bourduge – Distributeur : Les Films Molière, Ursuline Distribution. All Rights Reserved
Box-office de Mean Streets
Sorti tardivement en France la veille du Festival de Cannes, un 12 mai 1976, Mean Streets a dû attendre 3 ans pour trouver un distributeur en France.
Ce petit budget d’environ 500 000 $ ne doit sa présence sur les écrans parisiens qu’à la présence de Robert De Niro (Le Parrain 2e partie, 1975), véritable star de l’année 1976, puisqu’il est présent sur la Croisette pour 2 films chocs : 1900 de Bernardo Bertolucci et Taxi Driver, le nouveau Martin Scorsese qui repartira avec la Palme d’Or.
Martin Scorsese est l’autre superstar du moment et son Taxi Driver sortira dans la foulée, le 2 juin 1976. Il arrêtera sa course nerveuse à 2 700 000 clients.
En attendant, Mean Streets attire 4 900 spectateurs à Paris dans 3 cinémas en première semaine : l’UGC Marbeuf, le Studio Médicis et le Bilboquet. En 2e semaine, il est relativement stable avec 3 467 spectateurs. Le film restera 15 semaines en première exclusivité parisienne et avoisinera les 25 000 entrées. Toutefois, la carrière du film sera longue : Mean Streets reviendra régulièrement sur les écrans de la capitale et approchera les 70 000 spectateurs au gré des ressorties. Au total en France, il pourra se targuer d’avoir réalisé 164 000 spectateurs. Certes, il s’agit d’un petit score pour Martin Scorsese, mais il faut prendre en considération sa sortie dans un circuit d’art et d’essai ultra réduit et un budget microscopique.
Mean Street, jaquette VHS 1982 © MCMLXXIII TPS Production. Inc. All Rights Reserved Tous droits réservés / All rights reserved
Biographies +
Martin Scorsese, Robert De Niro, Harvey Keitel, Cesare Danova, David Carradine, David Proval, Amy Robinson
Test DVD de Mean Street (2011)
Après de nombreuses parutions au rabais, Mean streets a enfin droit à une belle édition collector signée Carlotta.
Compléments : 3.5 /5
Comme d’habitude avec l’éditeur Carlotta, les suppléments proposés sont excellents. On démarre avec un morceau de choix, un entretien d’environ une demi-heure avec Martin Scorsese à propos de son premier film marquant. Si celui-ci n’est pas présent physiquement, son aisance orale naturelle fait de ce module un document indispensable pour comprendre à quel point Mean streets est une oeuvre personnelle pour son auteur. Durant vingt minutes, le critique Kent Jones parle de l’originalité du film à l’époque et de son impact sur les spectateurs et sur le jeu des acteurs. Un troisième document permet au directeur photo Kent Wakeford de revenir sur ses choix artistiques et notamment son utilisation des zones d’ombre ou encore de la caméra portée à l’épaule. Ses propos, d’une grande clarté, nous permettent de mieux comprendre la conception chaotique de certains plans.
D’autres petits documents plus anecdotiques complètent le programme comme le retour de Scorsese dans son quartier de Little Italy à la fin des années 70 (7mn). On peut comparer ce vieux reportage avec le document plus récent qui revient dans les rues de Mean streets durant six petites minutes. Outre la bande-annonce du film, l’éditeur nous propose enfin quelques Home movies de Martin Scorsese réalisés pour le film. Ce document historique est muet et dure 10mn.
Notons enfin que le blu-ray contient en plus le film Italianamerican (1974), document de 47 mn sur le quartier qui a vu naître Scorsese.
Image : 3 / 5
Jusqu’alors disponible uniquement dans des éditions médiocres, Mean streets a enfin eu droit à une restauration digne de ce nom. Attention toutefois, la copie proposée respecte pleinement les conditions de tournage précaires de l’époque et conserve donc un certain grain cinéma, tandis que les séquences nocturnes gardent un aspect très sombre. On est ici davantage dans le respect d’une œuvre underground qui doit donc conserver ses défauts pour être pleinement appréciée.
Son : 2.5/ 5
la bande sonore a été débarrassée de tout souffle, le mono de la version originale sous-titrée sonne de manière assez caverneuse alors que la version française est bien plus claire, notamment au niveau des voix. Par contre, la version doublée perd en ambiances sonores par rapport à la VO. Dans les deux cas, le rendu est tout à fait correct.
Test DVD de Virgile Dumez
Edition DVD Carlotta © MCMLXXIII TPS Production. Inc. All Rights Reserved Tous droits réservés / All rights reserved