Thriller efficace, Little Jaffna constitue une immersion de choix au cœur de la communauté tamoule parisienne, avec un regard sans concession sur le communautarisme. Une réussite.
Synopsis : Le quartier de « Little Jaffna » à Paris est le cœur d’une communauté tamoule vibrante, où Michael, un jeune policier, est chargé d’infiltrer un groupe criminel connu pour extorsion et blanchiment d’argent au profit des rebelles séparatistes au Sri Lanka. Mais à mesure qu’il s’enfonce au cœur de l’organisation, sa loyauté sera mise à l’épreuve, dans une poursuite implacable contre l’un des gangs les plus cachés et puissants de Paris.
L’extension d’un court métrage de 2018
Critique : Acteur de formation, Lawrence Valin n’a jamais réussi à trouver sa place au sein du cinéma français car il était systématiquement réduit à sa couleur de peau, venant de ses origines tamoules, alors que lui-même est né en France. Las d’être assigné aux mêmes rôles, il a décidé de passer à la réalisation en intégrant La Résidence de la Fémis, organisme qui permet d’ouvrir l’école à la diversité. Ainsi, il a pu tourner deux courts métrages remarqués dont Little Jaffna (2018) qui a servi de point de départ à son premier essai au format long.
© 2024 Ex Nihilo, Mean Streets, France 2 Cinéma, Zinc / Photographies : Guy Ferrandis. Tous droits réservés.
Prenant pour modèle le cinéma de Martin Scorsese, Lawrence Valin entend décrire une communauté tamoule qu’il connaît bien par le biais du film de genre, et notamment du thriller et du film de gangsters. Cette simple histoire d’infiltration d’un flic au cœur de la communauté tamoule suspectée de financer des actes terroristes au Sri Lanka est avant tout une histoire d’identité pour l’acteur-réalisateur qui se retrouve dans la peau de ce personnage double. Effectivement, profondément français, Michael (Lawrence Valin, donc) va se reconnecter avec ses origines tamoules à l’occasion de cette mission d’infiltration où il doit agir comme les gangsters qu’il devra ensuite dénoncer.
Un auteur en recherche d’identité
Afin de signifier de manière plus métaphorique la dualité du protagoniste, le comédien l’a affligé d’un vitiligo (c’est-à-dire de taches blanches visibles sur son visage). Un moyen efficace de montrer sa double appartenance, à la fois à la France et à son affiliation tamoule. Pour autant, le long métrage échappe à toute tentative de récupération communautaire puisque sa description de la nébuleuse tamoule parisienne s’éloigne de la carte postale. Ici, il n’est pas question d’apprécier la chaleur habituelle des restaurants du quartier indien de Paris, mais bien de visiter les arrière-cours et les agissements criminels d’une communauté discrète mais non moins criminelle. Rarement ciblés par les médias français, les Tamouls sont organisés comme une véritable mafia afin de financer les actes de rébellion au Sri Lanka.
Dans Little Jaffna, Lawrence Valin cible particulièrement l’organisation terroriste des Tigres de libération de l’Îlam tamoul qui ont surtout été très actifs entre 1976 et 2009. Ils pratiquaient notamment des attentats suicides dans l’île afin de réclamer l’indépendance et portaient sur eux une capsule de cyanure, comme bien montré dans le film. Le cinéaste décrit donc l’influence majeure de cette minorité d’activistes sur toute une communauté qui a été rackettée et mise sous tutelle de manière mafieuse afin de financer les actes perpétrés à plus de 10 000 kilomètres de là.
Un portrait sans concession d’une communauté rarement médiatisée
Comme dans les films de Scorsese, Lawrence Valin tente de ne diaboliser personne et livre donc un portrait équilibré d’une communauté qui peut être aussi bien accueillante et festive que dangereuse et violente, en fonction des individus. Il ne rechigne pas à décrire une violence froide, ainsi qu’une influence sur les esprits qui entraîne une ambiance de tension permanente au sein du groupe.
© 2024 Ex Nihilo, Mean Streets, France 2 Cinéma, Zinc / Photographies : Guy Ferrandis. Tous droits réservés.
Cet aspect documentaire a le mérite de pénétrer au cœur d’un lieu plutôt mal connu des spectateurs français, sur une thématique peu évoquée chez nous dans les médias (les troubles sur le continent indien). Toutefois, Little Jaffna n’est aucunement un film à thèse et il parvient à livrer de beaux moments de cinéma lors des moments de suspense et d’action. Il insère même quelques références à West Side Story (Robert Wise, 1961) – et donc à Roméo et Juliette – à travers une romance impossible entre deux êtres issus d’une caste différente.
Un premier film valeureux distingué à Reims Polar
Porté par une réalisation efficace, de belles images colorées, des ralentis maîtrisés et quelques emphases réussies, Little Jaffna est aussi l’occasion de découvrir des comédiens formidables. Si Lawrence Valin s’en sort très bien dans ce rôle ambigu, on adore surtout la prestance impressionnante du grand acteur indien Vela Ramamoorthy dans le rôle d’un parrain redoutable, capable d’embrasser un rival avant de le frapper violemment en un seul mouvement.
Premier film très intéressant, Little Jaffna a également le mérite de ne jamais céder à la fascination pour le communautarisme en rappelant la valeur cardinale de notre République, à savoir l’unité de tous ses enfants, de quelque origine qu’ils soient. Les spectateurs du Festival Reims Polar 2025 ne s’y sont pas trompés en lui décernant leur Prix du public, tandis que le jury officiel lui a également octroyé son prix. Ce qui est bien mérité.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 30 avril 2025
Extrait du film / Bande-annonce
© 2024 Ex Nihilo, Mean Streets, France 2 Cinéma, Zinc / Affiche : Le Cercle Noir pour Silenzio ; Guy Ferrandis (photographies). Tous droits réservés.
Biographies +
Lawrence Valin, Puviraj Raveendran, Vela Ramamoorthy, Radhika Sarathkumar
Mots clés
Cinéma français, Thrillers français, Paris au cinéma, Le terrorisme au cinéma, Reims Polar 2025