Premier film inspiré, L’homme d’argile évoque l’émancipation par l’art de la manière la plus poétique possible. L’interprétation impeccable et la musique séduisante font de cette première œuvre une grande réussite, à la fois exigeante et touchante.
Synopsis : Raphaël n’a qu’un œil. Il est le gardien d’un manoir dans lequel plus personne ne vit. À presque 60 ans, il habite avec sa mère un petit pavillon situé à l’entrée du grand domaine bourgeois. Entre la chasse aux taupes, la cornemuse et les tours dans la Kangoo de la postière, les jours se suivent et se ressemblent. Par une nuit d’orage, Garance, l’héritière, revient dans la demeure familiale. Plus rien ne sera plus jamais pareil.
A l’origine du film, une belle rencontre artistique
Critique : Au milieu des années 2010, l’actrice-réalisatrice Anaïs Tellenne fait la rencontre du comédien Raphaël Thiéry qu’elle emploie sur plusieurs de ses courts métrages. Les deux artistes s’entendent à merveille et décident de collaborer sur un long métrage qui s’inspirerait du parcours hors norme de l’acteur. Effectivement, celui-ci a connu une existence particulière faite de multiples opérations à l’œil et d’un physique cabossé, mais aussi une forme d’affirmation personnelle par l’art. Ainsi, Raphaël Thiéry fut pendant une vingtaine d’années un joueur de cornemuse très apprécié au sein de formations musicales traditionnelles, avant de se lancer dans la comédie.
Pour écrire le script de L’homme d’argile, Anaïs Tellenne s’est donc largement inspirée du parcours de son interprète principal, tout en confrontant ce personnage avec celui d’une artiste contemporaine originale calquée sur le destin de Sophie Calle, connue pour ses performances où elle métamorphose sa vie en art. Pour incarner son double à l’écran, Anaïs Tellenne est parvenue à convaincre la grande Emmanuelle Devos de se lancer dans l’aventure. Ainsi, le tournage de cette œuvre sur l’émancipation d’un être par l’art a pu se dérouler dans le Morvan où l’équipe a investi le Château du Jeu qui correspondait bien à ce que recherchait la réalisatrice novice.
Une œuvre en suspension, comme hors du temps
En utilisant un format peu courant (le 1.50), Anaïs Tellenne entend composer une image plus photographique que véritablement cinématographique. Pour autant, elle s’attache à créer des images qui peuvent renvoyer aux contes de fées, avec parfois des éclairages peu naturalistes, voire quasiment fantastiques. Loin de chercher à décrire une réalité quotidienne banale, la réalisatrice immerge le spectateur dans un monde qui pourrait bien être parallèle, avec son château hors du temps et son village comme déconnecté du reste du monde. Finalement, seule l’intrusion des galeristes en fin de métrage vient nous rappeler que nous sommes bien dans une œuvre contemporaine.
L’homme d’argile suit donc le parcours atypique d’un homme au physique ingrat qui vit seul avec sa vieille mère et qui a pour fonction de s’occuper des espaces verts d’un château. Lorsque la propriétaire débarque un soir après des années d’absence, celle-ci va totalement chambouler le destin de cet homme simple en le regardant autrement. Dès lors, un rapport intéressant de muse à créateur s’instaure entre ces deux êtres hors normes. La créatrice mondialement connue fait de ce jardinier son modèle pour une sculpture et son regard donne des ailes à celui qui va ainsi s’émanciper de sa condition par l’amour et l’art.
La maman, la putain et l’artiste
Bien entendu, au cœur de cette histoire simple, la réalisatrice a multiplié les métaphores comme celle du Golem, très présente tout au long de la projection. On signalera aussi la présence autour de cet homme de trois femmes qui représentent trois facettes différentes de l’éternel féminin. Emmanuelle Devos est en quelque sorte la femme aimée, idéalisée et vénérée qui inspire l’homme, Mireille Pitot est la mère à la fois aimante, mais aussi castratrice, tandis que Marie-Christine Orry est l’amante qui se livre sexuellement sans que ses sentiments soient partagés.
Filmé avec beaucoup de sensualité par une réalisatrice qui aime ses personnages, L’homme d’argile s’insinue doucement en nous pour créer des sensations agréables, au fur et à mesure que l’amour trace son chemin dans le cœur de cet homme solitaire. Cela est facilité par les quelques morceaux à la cornemuse composés par Raphaël Thiéry, mais aussi par la très belle partition orchestrale d’Amaury Chabauty (par ailleurs l’époux de la réalisatrice). Cette musique romanesque donne encore plus de saveur aux belles idées poétiques qui gagnent en régularité durant la dernière demi-heure d’une œuvre décidément très réussie.
Un beau premier film, malheureusement passé inaperçu
Pour donner corps à cette touchante histoire, la cinéaste a pu compter sur l’interprétation sans faille de ses acteurs principaux. Raphaël Thiéry impose sa carrure sans problème, mais il se révèle surtout très touchant en amoureux fou. Face à lui, Emmanuelle Devos demeure impériale, comme toujours. Enfin, signalons la prestation amusante de Marie-Christine Orry en postière un peu délurée qui est secrètement éprise du jardinier.
Tout ceci fait de L’homme d’argile un très beau film d’auteur qui mêle à la fois exigence formelle et universalité du propos. Projeté au Festival de Venise 2023, ce premier essai a fait le tour des festivals, remportant souvent le Prix du public, comme à Busan. Malgré des critiques favorables, le métrage programmé dans 55 salles n’a obtenu que 15 574 entrées lors de sa première semaine d’exploitation, à partir du 24 janvier 2024. En manque de notoriété, L’homme d’argile est donc passé inaperçu, terminant sa courte carrière avec 47 000 curieux à son compteur. Pour se rattraper, les cinéphiles peuvent désormais compter sur sa sortie en DVD chez Blaq Out.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 24 janvier 2024
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Anaïs Tellenne, Emmanuelle Devos, Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma, Raphaël Thiéry, Marie-Christine Orry
Mots clés
Cinéma français, Romance, Premier film, Cinéma provincial français