Drame social pertinent, Les pires est un premier film porté par un regard humaniste et intelligent sur des adolescents broyés par l’existence. A découvrir.
Synopsis : Un tournage va avoir lieu cité Picasso, à Boulogne-Sur-Mer, dans le nord de la France. Lors du casting, quatre ados, Lily, Ryan, Maylis et Jessy sont choisis pour jouer dans le film. Dans le quartier, tout le monde s’étonne : pourquoi n’avoir pris que « les pires » ?
La continuation d’un court-métrage maintes fois primé
Critique : Engagées en 2014 sur un casting de grande ampleur, Lise Akoka et Romane Guéret démontrent de réelles qualités dans le coaching d’enfants-acteurs. Leurs personnalités s’accordent parfaitement et les deux jeunes femmes décident de collaborer à l’écriture et à la réalisation d’un court-métrage qui évoque leur expérience dans le domaine du casting. Chasse royale (2015) fait le tour des festivals et reçoit plusieurs prix, au point d’être nominé au César du meilleur court-métrage en 2017. Dès lors, plusieurs portes s’ouvrent et les duettistes envisagent dès cette époque d’étendre leur court au format long.
Toutefois, la préparation du long-métrage a pris plusieurs années, au point qu’un premier casting avait été effectué et que l’intégralité du travail a été inutile, puisque les aspirants comédiens avaient trop vieilli pour être utilisés dans le métrage final. Cela a toutefois permis aux autrices de s’immerger pleinement dans ce milieu sensible d’une banlieue de Boulogne-sur-Mer et de s’imprégner totalement du langage de cette jeunesse laissée à l’abandon dans un contexte de misère et d’atavisme social.
Les pires ou la confrontation de deux mondes
Dans Les pires (2022), les réalisatrices suivent donc pas à pas la création d’un long-métrage au cœur d’une banlieue défavorisée. Certes, l’intrigue est structurée par les différentes étapes de création d’un film, depuis le casting jusqu’au tournage, mais les cinéastes ne se résolvent pas à jouer le jeu du film dans le film. En effet, ce qui les intéresse davantage est la rencontre entre deux mondes apparemment incompatibles, à savoir un plateau de cinéma et un quartier particulièrement marginal. La confrontation est à la fois sociale – le cinéma insuffle de l’espoir à des gens qui n’ont guère de perspectives d’avenir – mais aussi culturelle, avec notamment une certaine incompatibilité entre les valeurs de tolérance soutenues par les artistes et la réalité du terrain moins rose (les jeunes gens y sont notamment sexistes et homophobes).
© 2022 Les Films Velvet – France 3 Cinéma – Pictanovo / Photo : Eric Dumont. Tous droits réservés.
Là où Lise Akoka et Romane Guéret marquent des points, c’est dans leur volonté de réfléchir à l’impact d’un tel film sur ceux qu’il met en avant. En filmant ces gens dans leur environnement, les cinéastes n’ont-ils pas une responsabilité morale sur ce qu’elles montrent et sur ce qui va advenir de leurs jeunes acteurs ? Pour cela, elles ont l’intelligence de décrire le cinéaste interprété avec beaucoup de nuances par l’acteur belge Johan Heldenbergh, à la fois comme un humaniste qui aime profondément ses acteurs, mais également comme un manipulateur qui s’irrite lorsqu’il n’arrive pas à obtenir ce qu’il souhaite de cette matière humaine si fragile. A tel point qu’il peut être amené parfois à outrepasser sa fonction afin de satisfaire à son désir profond de création.
Des jeunes acteurs tous épatants
De même, les autrices insistent sur l’impact que ce genre de film peut avoir sur l’image donnée d’un quartier. Ainsi, tous les habitants ne sont pas favorables à ce type de production sociale, car cela enferme en quelque sorte le quartier dans une image préfabriquée de ghetto. D’où l’interrogation légitime des habitants : pourquoi toujours montrer les pires ? Les réalisatrices prouvent avec leur premier long-métrage qu’il est pourtant important de montrer à l’écran ceux qui sont rejetés par la société, car cela permet de leur octroyer enfin une part d’humanité et de dignité.
Très équilibré dans son discours, Les pires bénéficie d’une réalisation efficace, mais se distingue surtout par la véracité émanant de son jeune casting. On ne risque pas d’oublier le regard buté et la diction cabossée – comme son existence – du jeune Timéo Mahaut qui orne en même temps l’affiche du film. Mais il ne faut aucunement négliger la justesse d’émotions de Mallory Wanecque qui a reçu pour sa prestation de nombreux prix dans les festivals. Elle est tout simplement excellente, sachant varier les expressions et émotions avec un naturel confondant. Mais à ce petit jeu, il faudrait aussi citer les autres jeunes qui sont tous parfaitement à l’aise devant la caméra complice des réalisatrices.
Une pluie de récompenses pour un passage discret dans les salles
Présenté dans la section Un certain regard au Festival de Cannes 2022, Les pires a reçu le prix de cette section parallèle, puis a fait le tour des festivals avec un bel écho de la part des critiques et du public. Sorti début décembre 2022 dans une combinaison de 108 salles, Les pires n’a malheureusement pas bénéficié des faveurs du grand public. Ils ne furent que 18 915 banlieusards à faire le déplacement en France lors de sa semaine d’investiture. Par la suite, le joli film social a continué à circuler durant plus de deux mois et a fini par atteindre 53 169 spectateurs.
Après son retrait des cinémas, le long-métrage est finalement sorti en DVD au mois d’avril 2023, tandis qu’aucun blu-ray n’a été envisagé par Pyramide Vidéo, étant donné le peu de potentiel commercial d’une telle œuvre. Pourtant, ce tout premier film vaut vraiment le détour.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 7 décembre 2022
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© 2022 Les Films Velvet – France 3 Cinéma – Pictanovo / Affiche : Eric Dumont. Tous droits réservés.
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Romane Guéret, Lise Akoka, Dominique Frot, François Créton, Mallory Wanecque, Timéo Mahaut, Johan Heldenbergh
Mots clés
Films sur la banlieue, Le film dans le film, Festival de Cannes 2022