Les Misérables de Ladj Li est un premier long métrage magistral qui greffe à la perfection la thématique du film de banlieue sur les codes du polar semi-documentaire.
Synopsis : Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, dans le 93. Il va faire la rencontre de ses nouveaux coéquipiers, Chris et Gwada, deux “Bacqueux” d’expérience. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier. Alors qu’ils se trouvent débordés lors d’une interpellation, un drone filme leurs moindres faits et gestes…
Le choc de Cannes 2019
Critique : Disons-le d’emblée : ce premier long métrage coup-de-poing a constitué le premier choc de la compétition officielle cannoise et révèle un auteur à suivre. Ladj Li, âgé de 39 ans, n’en est pourtant pas à son premier essai derrière la caméra. Fondateur du collectif Kourtrajmé en 1995, il a filmé dix ans plus tard les émeutes dans les banlieues avant de réaliser des documentaires et des courts métrages sur le même thème, dont deux ont été nommés aux César. S’il est clair que le cinéaste, fils d’immigré maliens, qui a grandi en Seine-Saint-Denis, maîtrise à fond son sujet, il n’en oublie pas pour autant une véritable démarche de metteur en scène, ce dont nous lui saurons gré. Le polar semi-documentaire axé plus ou moins sur les problèmes des cités avait pourtant déjà connu de beaux jalons dans le cinéma français, de Police de Maurice Pialat à Polisse de Maïwenn, en passant par L. 627 de Bertrand Tavernier.
Les Misérables les dépasse, de même qu’il renvoie au rayon des œuvres surestimées Ma 6.T va crack-er de Jean-François Richet ou Divines de Houda Benyanima. Basé sur un fait divers qui a défrayé la chronique il y a une dizaine d’années (une bavure commise par des policiers avait dégénéré après que leurs faits et gestes aient été filmés par des jeunes), Ladj Li le transcende et propose d’abord un portrait de trois collègues de travail différents de par leur personnalité et leurs méthodes mais pris dans un engrenage qui les dépasse tous les trois malgré leur expérience professionnelle.
Le Pacte
Chef de la brigade, Chris (Alexis Manenti) est un flic borné, raciste et aux procédés expéditifs. Il n’hésite pourtant pas à sympathiser avec des gosses de la cité et demander des nouvelles d’un ancien taulard réintégré. Gwada (Djebril Didier Zonga) est davantage sur la réserve. Comme le réalisateur, il a grandi dans le quartier et tempère les impulsions de son supérieur ; c’est pourtant lui qui dans un moment de pétage de plomb tirera au flash-ball sur un gamin interpellé. Quant à Stéphane (Damien Bonnard), observateur de par son statut de nouveau venu, il s’avère vite intelligent, efficace et intègre. N’hésitant pas à sermonner ses coéquipiers lorsque leur fibre ripou s’emballe, il fermera cependant les yeux sur leurs agissements louches et n’avisera jamais sa hiérarchie.
Coup d’essai, coup de maître.
Face à eux, la faune de Monfermeil est difficile à cerner. Des chefs de réseaux de drogue au prédicateur islamiste en passant par les familles et leurs enfants, tous répondent à des archétypes mais les réactions des personnages ne correspondent pas toujours à ce que le spectateur attend d’eux : cette absence de manichéisme est l’une des forces du cinéaste qui contourne les écueils que même Jacques Audiard n’avait pas su éviter dans Dheepan. Mais au-delà de la subtilité d’un matériau en apparence naturaliste, Ladj Li parvient à faire monter la tension dans un récit policier qui déploie une efficacité narrative impressionnante, sans jouer sur l’esbroufe (malgré une ou deux scènes que d’aucuns jugeront complaisantes). De la plainte virulente d’un directeur de cirque à qui on a volé un lionceau à l’explosion de rage dans une cage d’escalier, l’engrenage de la violence est filmé de main de maître, et un montage nerveux et percutant n’a rien à envier à Do the Right Thing de Spike Lee ou La Cité de Dieu de Fernando Meirelles et Kátia Lund. Ce coup d’essai dans le long métrage de Ladj Li est donc un coup de maître et devrait rencontrer une large audience.
César du Meilleur film 2020
Critique Gérard Crespo