Evocation forte et sobre à la fois, Les Harkis plonge dans une période peu reluisante de notre histoire avec le sens de la nuance caractéristique du cinéma de Philippe Faucon. A découvrir.
Synopsis : Fin des années 50, début des années 60, la guerre d’Algérie se prolonge. Salah, Kaddour et d’autres jeunes Algériens sans ressources rejoignent l’armée française, en tant que harkis. Á leur tête, le lieutenant Pascal. L’issue du conflit laisse prévoir l’indépendance prochaine de l’Algérie. Le sort des harkis paraît très incertain. Pascal s’oppose à sa hiérarchie pour obtenir le rapatriement en France de tous les hommes de son unité.
Les Harkis évoque une page d’histoire complexe
Critique : Né lui-même au Maroc d’un père militaire, Philippe Faucon n’a connu la guerre d’Algérie qu’à un très jeune âge. Pourtant, il appartient à cette génération qui a vécu à l’ombre des souvenirs d’un conflit terriblement destructeur pour toutes les parties prenantes. Pas étonnant qu’il ait abordé cette thématique dans le très bon La trahison (2005) et qu’il y revienne aujourd’hui avec Les Harkis. Cette fois, Philippe Faucon aborde le conflit sous un angle différent de celui de ses confrères puisqu’il s’attache à décrire le destin complexe de ces supplétifs de l’armée française qui ont donc combattu au côté des colons français contre leurs propres frères.
La grande force du film de Philippe Faucon vient de sa capacité à ne jamais juger ses personnages qui s’engagent auprès de l’armée française pour des raisons diverses et variées. Si certains harkis ont vraiment combattu par idéologie, et parfois avec zèle, beaucoup d’entre eux furent également des victimes de la violence menée allègrement par le FLN (Front de Libération Nationale) ou par l’armée française. Ainsi, un homme qui parle sous la torture devient immédiatement un traitre aux yeux du FLN et la seule solution pour s’en tirer consiste en un engagement dans l’armée française.
Une œuvre marquée par un regard juste, au-delà des polémiques
Comme à son habitude, Philippe Faucon ne surligne pas sa démonstration et il parvient à évoquer ces diverses situations sans aucun commentaire, uniquement par la magie d’un film pluriel où aucun personnage ne peut être considéré comme principal. Avec un grand sens de la complexité humaine, Faucon démontre que les harkis ont été piégés par les autorités françaises, considérés en quelque sorte comme une simple variable d’ajustement et de la chair à canon. Rarement respectés par leurs supérieurs, les harkis ont donc été perdants à tous les niveaux. Toutefois, Les Harkis montre aussi que certains militaires français ont refusé d’abandonner leurs hommes une fois les accords d’Evian signés. Il met donc davantage en accusation l’Etat et ses sbires qui ne tiennent pas compte de la situation de ces hommes condamnés à mort si on les laisse sur place après l’indépendance.
Cette acuité du regard fait vraiment plaisir à voir puisque le cinéaste évacue les éléments les plus polémiques pour se concentrer sur une aventure humaine qu’il désamorce malheureusement en laissant la fin en points de suspension. Il abandonne donc le spectateur à un moment crucial, donnant à l’ensemble un petit goût d’inachevé. C’est le principal reproche que l’on peut faire à ce long-métrage sec, rondement mené et fondé sur un casting composé en grande partie d’inconnus. Toutefois, on peut signaler le jeu pertinent de Théo Cholbi en militaire qui ne veut pas abandonner ses hommes à leur destin funeste. A lui seul, il sauve en quelque sorte l’honneur d’une armée française qui ne sort pas grandie de cette histoire terrifiante.
Un film intéressant, mais passé relativement inaperçu
Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2022, Les Harkis est finalement sorti dans les salles en toute discrétion en octobre 2022, cumulant quasiment la moitié de ses entrées lors de sa première semaine d’exploitation (18 899 férus d’histoire). Dès la semaine suivante, le métrage perdait près de 50 % de ses entrées, puis a continué à faire le tour des cinémas d’art et essai jusqu’à la fin décembre pour un total de 45 757 spectateurs. Au moins le métrage a-t-il sans doute permis d’organiser dans tout le pays des séances suivies de débats sur un sujet qui demeure ô combien inflammable. Il en constitue effectivement une très bonne entrée en matière.
Critique de Virgile Dumez
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La guerre d’Algérie au cinéma
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Philippe Faucon, Pierre Lottin, Yannick Choirat, Théo Cholbi