Avec Les Adolescentes, qui choqua son époque, Lattuada s’attaque à la découverte de la sexualité par une jeune fille, mais il le fait avec une délicatesse et une sensibilité étonnantes. Rien de graveleux, donc, plutôt des interrogations et une attention fine portée sur une actrice remarquable.
Synopsis : Une jeune fille de bonne famille, Francesca, dix-sept ans, se réveille un matin consciente de son attirance pour Enrico, un architecte qui a vingt ans de plus qu’elle. Une attirance qui va hanter cette journée d’été au cours de laquelle la jeune fille, de rencontres en rencontres, va décider de ne pas résister à l’appel de la vie adulte. Au risque de subir une douce désillusion…
Vingt-quatre heures de la vie d’une jeune fille
Critique : Le scénario semble bâti pour répondre à une question essentielle : à quoi rêvent les jeunes filles ? Si le titre français généralise, c’est bien à partir d’une adolescente, Francesca, que Lattuada explore d’une caméra indiscrète un parcours unique et universel, qui a certains traits du road movie, mais surtout se fonde sur une initiation sentimentale et sexuelle. Dès le très beau plan-séquence inaugural, l’éveil de Francesca, entre rêverie érotique et repli enfantin, Les Adolescentes joue sur l’hésitation. Car, au fond, si la jeune fille se pense amoureuse d’un architecte, la journée qu’elle vit la confronte à une réalité fuyante où le monde adulte semble régi par des lois sordides auxquelles sa pureté (le mot est répété) se heurte et qui, au lieu de lui apporter des réponses, la renvoie à son questionnement, jusqu’au regard-caméra final, qui évoque aussi bien les 400 coups de Truffaut que Monika de Bergman. C’est un peu comme si, au terme de ce trajet insolite, Francesca demandait au spectateur son avis ou défiait son jugement.
Les adolescentes est un jeu de rencontres
Comme dans tout road movie, le film donne l’impression d’une errance qui vaut par ses rencontres : Francesca est ballottée, change d’itinéraire sur un hasard ou un coup de tête. Partie pour l’école, elle rebrousse chemin et va voir Enrico, l’architecte, qu’elle embrasse au terme d’un étrange jeu d’indifférence / séduction. Puis elle va chez une une amie, repart avec son invraisemblable mère, côtoie une princesse, un gigolo, pour retrouver ensuite Enrico. De ce trajet circulaire qui avance par à-coups entrecoupés de déambulations variées, ne ressort qu’une confrontation opaque qui ne résout rien mais s’attache à croquer des adultes finalement aussi perdus que Francesca : la comtesse percluse de dettes qui fuit son âge, la princesse pour qui faire l’amour est un pêché, le gigolo tourmenté qui rêve d’un ailleurs, tous sont insatisfaits et présentent à la jeune fille des anti-modèles.
Le parti de la jeunesse
Clairement, Lattuada choisit le parti de l’adolescente, ou plutôt des adolescentes, puisqu’au début il s’attarde sur une lettre anonyme lue dans la classe et qui fait part d’un amour absolu. C’est que les jeunes filles sont encore dans l’idéal, la réalité décevante ne les a pas encore rattrapées. Le cinéaste prend un plaisir visible à saisir les moues et les poses de son actrice, fasciné qu’il est par la jeune Catherine Spaak. Ses jambes, la pointe de ses seins, son visage sont auscultés avec une précision amoureuse qui vaut aussi pour les temps morts du récit, où Lattuada se plaît à la filmer marchant simplement dans la rue, en un long travelling admiratif. Au fond, Les Adolescentes est, en plus d’une éducation sentimentale, un documentaire sur une comédienne naissante (c’est son troisième film) ; aux émois de la jeune fille correspondent apparemment ceux du cinéaste. Le choix de Catherine Spaak est excellent : elle parvient à traduire une gamme de sentiments élargie, mais également toutes les hésitations et le flou qui l’envahissent.
L’alanguissement récurrent de Francesca se traduit par un rythme lui même alangui ; Lattuada prend son temps, flâne, se perd et épouse les hésitations de son héroïne. En ce sens, Les Adolescentes est un film de son temps, refusant les péripéties, privilégiant le hasard (même contrôlé) et les bifurcations. Mais ce qui en fait l’incontestable prix, c’est le portrait attentif d’un éveil à l’amour, éveil sinueux, complexe, ouvert. Portée par une actrice radieuse, cette œuvre audacieuse et sensible exerce sur son spectateur une fascination constante.