Implacable thriller d’une terrible noirceur, Le successeur s’impose comme une nouvelle réussite de la part de Xavier Legrand qui confirme ici les espoirs placés en lui avec Jusqu’à la garde. Vertigineux.
Synopsis : Heureux et accompli, Ellias devient le nouveau directeur artistique d’une célèbre maison de Haute Couture française. Quand il apprend que son père, qu’il ne voit plus depuis de nombreuses années, vient de mourir d’une crise cardiaque, Ellias se rend au Québec pour régler la succession. Le jeune créateur va découvrir qu’il a hérité de bien pire que du cœur fragile de son père.
Le successeur de Jusqu’à la garde
Critique : Lorsqu’il découvre le roman d’Alexandre Postel intitulé L’Ascendant (2015), l’acteur-réalisateur Xavier Legrand y trouve de nombreuses résonnances avec son propre univers artistique, marqué par une dénonciation des dérives du patriarcat et de l’impact que cela produit sur les femmes, mais aussi les hommes eux-mêmes. Ayant conscience de l’aspect inadaptable du roman d’origine, Xavier Legrand en achète les droits, tout en effectuant de très nombreuses modifications dans la trame générale du roman dont il ne reprend finalement que le pitch de départ.
Dès la scène initiale, le cinéaste nous invite à plonger dans un thriller mental. Effectivement, la séquence du défilé de mode est en elle-même programmatique avec son dispositif en spirale qui oblige les mannequins et le public à s’entremêler. Sur une musique électro puissante de Sebastian qui évoque la grande époque de la Synth Wave, la séquence mêle à la fois l’étrangeté d’un défilé glacial et un motif musical qui évoque aussi les compositions de Bernard Herrmann pour Alfred Hitchcock. Ainsi, le spectateur est prévenu d’avance : le cinéaste nous invite au cœur de circonvolutions mentales tortueuses.
Du drame intimiste au thriller déstabilisant
A partir de là, le métrage déploie durant une bonne demi-heure une intrigue plus proprement intimiste, avec le dècès soudain d’un père que le grand styliste n’a pas vu depuis une vingtaine d’années. De leur rupture, rien ne sera explicité, mais la simple distance physique (l’un habite Paris et l’autre est resté au Québec) suffit à suggérer un malaise profond entre ce père et ce fils. Est-il question ici de violence physique comme dans le premier film de Xavier Legrand, le tétanisant Jusqu’à la garde ? Possible.
Toutefois, lors d’une banale scène d’exploration de la maison du défunt, son fils va faire une découverte étonnante et terrifiante à la fois. Même si on ne voit rien de ce qui se passe, l’habile utilisation du son et du hors champ permet au spectateur de comprendre l’indicible et de frissonner de surprise. Nous ne gâcherons pas ce moment intense, bien entendu. Dès cet événement imprévisible, Le successeur bascule inexorablement dans le thriller. Toutefois, une fois le choc passé, deux possibilités s’offrent au spectateur : soit ne pas adhérer au propos du cinéaste et trouver les décisions du personnage principal absurdes, soit se laisser embarquer dans une spirale de folie, de mort et d’autodestruction.
Tel père, tel fils ?
En réalité, les décisions apparemment contrintuitives du protagoniste (excellent Marc-André Grondin) ne peuvent se comprendre que d’un point de vue métaphorique. Le titre du film nous met effectivement sur la voie du propos du long-métrage. Il s’agit ici d’étudier de manière clinique les effets d’un atavisme patriarcal se transmettant de père en fils, même par-delà les frontières. On pourrait résumer cela en une phrase très simple : Tel père, tel fils.
Pourtant, le véritable atout de Xavier Legrand est de ne jamais brandir d’étendard et de ne jamais oublier de faire du cinéma. Ainsi, Le successeur se révèle bouleversant parce qu’il ne généralise pas son propos et qu’il délivre une véritable tragédie familiale qui met mal à l’aise, avant de se terminer d’une manière particulièrement cruelle envers les différents protagonistes. Une fois que l’on accepte les premières décisions du fils, l’intrigue se déploie de manière diabolique et emprisonne dans ses rets les protagonistes et le spectateur. Certains pourront détester être ainsi malmené par un réalisateur qui ne nous veut pas du bien, tandis que d’autres y verront surtout une implacable maîtrise de la part d’un cinéaste en pleine forme.
Une excellente réalisation au service d’une intrigue implacable
Porté par une excellente réalisation qui aime laisser la violence s’exprimer hors-champ, tout en s’affranchissant du temps à travers un habile montage (parfois au cœur même d’un faux plan-séquence magistral), Le successeur est une œuvre puissante, gorgée d’émotions paroxystiques et d’une tension qui ne se relâche que lors d’un final nihiliste, mais qui met un terme définitif à cette malédiction familiale.
Il faut encore signaler l’excellente prestation de Marc André Grondin et d’Yves Jacques, tous deux formidables dans des moments particulièrement difficiles à interpréter. Pour tous ceux qui apprécient d’être bousculés au cinéma, Le successeur est assurément un thriller pour vous.
Critique de Virgile Dumez
Box-office :
Avec Le successeur, Xavier Legrand est passé de tout à rien… En raison d’une affiche tortueuse, d’un titre peu excitant et d’un manque de célébrités au casting, pour le public français, son deuxième a floppé de façon vertigineuse, six ans après le succès du vénéré Jusqu’à la garde (401 447 entrées) qui avait décroché le César du Meilleur film, en 2019 (un exploit pour un premier long métrage).
La première semaine du Successeur est impitoyable, puisque seulement 33 121 spectateurs l’ont vu l’une des 133 salles le diffusant. A Paris, 17 salles le proposent lors de son investiture, mais seuls deux écrans parviennent à dépasser alors les 1 000 spectateurs (l’UGC les Halles, évidemment, et le Louxor).
Deux semaines plus tard, le drame oppressant en sera réduit à… 4 103 héritiers dans 107 cinémas. Deux semaines après, le thriller sinueux rampe sous la barre des 1 000 spectateurs par écran…
Un tel effondrement semble vouloir affirmer le désarroi des spectateurs face à un scénario tortueux dont la noirceur a entravé toute possibilité de bouche-à-oreille.
A l’issu de 7 petites semaines d’exploitation, Le successeur disparaît sans parvenir à dépasser les 50 000 locataires. Même pour un budget moyen moins de 5 800 000 euros, c’est dramatique. Il sera sanctionné par une sortie en DVD, sans passer par la case Blu-ray.
Analyse du box-office : Frédéric Mignard
Sorties de la semaine du 21 février 2024
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Xavier Legrand, Anne-Elisabeth Bossé, Florence Janas, Yves Jacques, Marc-André Grondin