Le mari de la femme à barbe : la critique du film (1964)

Satire, Comédie dramatique | 1h32min
Note de la rédaction :
8/10
8
Le mari de la femme à barbe, affiche reprise 2022 (Tamasa)

  • Réalisateur : Marco Ferreri
  • Acteurs : Annie Girardot, Ugo Tognazzi
  • Date de sortie: 24 Juin 1964
  • Année de production : 1963
  • Nationalité : Italien, Français
  • Titre original : La donna sciamma
  • Titres alternatifs : The Ape Woman (Etats-Unis), Se acabó el negocio (Espagne), Otan tin eida gymni (Grèce), Kobieta-małpa (Pologne)
  • Scénaristes : Rafael Azcona, Marco Ferreri
  • Directeur de la photographie : Aldo Tonti
  • Monteur : Mario Serandrei
  • Compositeur : Teo Usuelli
  • Producteur : Aldo Tonti
  • Sociétés de production : Compagnia Cinematografica Champion, Les Films Concordia, en association avec Cocinor, Les Films Marceau
  • Distributeur : Cocinor
  • Distributeur reprise : Tamasa
  • Date de sortie reprise : 19 janvier 2022 (Tamasa)
  • Editeur vidéo : Cinema collection Fnac (VHS), LCJ Editions & Productions (DVD, 2009), Tamasa (Combo Blu-ray, DVD, 2022)
  • Date de sortie vidéo : Mai 1993 (VHS), 13 mars 2009 (DVD), 28 janvier 2022 (Combo DVD & Blu-ray)
  • Box-office France : 61 647 entrées
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.85 : 1 / Noir et blanc (35mm) / Mono
  • Festivals et récompenses : Sélection Officielle Cannes 1964
  • Illustrateur / Création graphique : © Tamasa. Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © 1964 TF1 Studio (Film), © Tamasa (DVD). Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Plus qu’une satire, Le Mari de la Femme à barbe est un réquisitoire implacable contre l’humanité en ce qu’elle a de plus sombre et de plus indéfendable. Un film sans compromis qui se regarde douloureusement.

Synopsis : Antonio Focaccia découvre une jeune femme dont le visage est couvert de poils. Il décide alors de l’exhiber dans une baraque foraine.

Marco Ferreri et le nihilisme de l’âme

Critique : Après Le Lit conjugal, Marco Ferreri et son co-scénariste Rafael Azcona continuent à gratter là où ça fait mal, observant un cas inspiré d’un événement réel : une femme à la pilosité excessive est exploitée par un homme qui l’épouse pour continuer à s’enrichir sur son dos. Il n’est pas dans le caractère du cinéaste d’euphémiser, de prendre des détours adoucissants : comme d’habitude chez lui, le film explore les soubassements noirs de l’âme humaine et, malgré le caractère exceptionnel de l’histoire, nous renvoie un miroir particulièrement sombre. Car si Antonio, superbement interprété par Ugo Tognazzi, est un personnage odieux, c’est toute la société qui se trouve mise en accusation, et, là encore, Ferreri utilise la sulfateuse. C’est d’abord l’église, au début du film (ce sera moins le cas dans la suite) qui sert de cible : intolérante, conquérante, elle sert de repoussoir à une époque où, en Italie, elle était encore puissante. Les scientifiques ou pseudo-scientifiques viennent ensuite sur la sellette : c’est le « spécialiste » dont les tentations libidineuses se dissimulent sous un prétendu intérêt professionnel ou le médecin qui, avant de l’examiner, traite Marie de « monstre ». Mais les autres ne sont pas épargnés, et en particulier le peuple, présenté comme voyeur impitoyable. La société que présente Ferreri est irrémédiablement corrompue et cette misanthropie se teinte d’un nihilisme rageur qui peut décontenancer, voire rebuter. Ajoutons que le réalisateur se moque même de lui, puisqu’il apparaît en missionnaire décapité dans les diapositives initiales.

Le mari de la femme à barbe, photo reprise Annie Girardot

© 1964 TF1 Studio (Film), © Tamasa (DVD). Tous droits réservés / All rights reserved

Le mari de la femme à barbe, oppresseur du genre humain

Mais pour l’essentiel, le film se concentre sur le parcours d’Antonio et de Maria. Lui est présenté dès l’abord comme un menteur, profiteur, qui se pare de nobles intentions, plus tard d’un passé d’explorateur courageux, pour gagner de l’argent au détriment des autres. Il fait croire à des sentiments altruistes, mais, les dialogues le prouvent abondamment, il ne pense qu’au profit au mépris de l’humanité et de la morale les plus élémentaires. Faut-il voir en lui une métaphore d’un capitalisme sans âme ? C’est possible, mais largement insuffisant pour rendre compte d’un personnage plus complexe qu’il n’y paraît, certes froid et calculateur, mais capable in fine d’un chagrin peut-être réel. On peut également déceler une dénonciation de la société du spectacle embryonnaire (le livre éponyme de Guy Debord est postérieur), mais au bout du compte, c’est davantage l’humain lui-même qui est visé car sin on peut prendre en pitié Maria, elle se comporte en femme soumise, aliénée avec de rares velléités de révolte. Quant aux autres …

Un film âpre, dérangeant, désagréable

Dans ce film dérangeant et âpre, Ferreri utilise un procédé récurrent pour ajouter au malaise : il étire les séquences jusqu’à l’insupportable. Ainsi le mariage est-il suivi en un long travelling comme une humiliation particulièrement pénible. De même le malaise est-il oppressant quand Maria essaie d’obtenir la consommation de son mariage. Quant aux scènes de « spectacle », elles sont singulièrement éprouvantes. De là sans doute un sentiment persistant d’assister à une œuvre antipathique, désagréable, horripilante. C’est que le monde présenté, le nôtre, est tout sauf reluisant. Plus profondément, ce que Ferreri propose met à mal le contrat qui lie le film au spectateur en lui assignant une place désagréable : ne pouvant s’identifier à aucun personnage, il se transforme en voyeur, à l’égal des participants aux exhibitions (voir par exemple la lente révélation du visage de Maria). Ce que le film nous montre, ce n’est pas seulement une société écœurante : nous en sommes partie prenante. Inutile de dire que cela ne contribue pas à faire du Mari de la Femme à Barbe un métrage agréable.

Spoiler sur la fin

Le Blu-ray présente en bonus deux fins alternatives : la version italienne non censurée (Le producteur, Carlo Ponti, en avait été horrifié), et la version française. A vrai dire, on ne sait laquelle des deux est la plus noire : celle d’un retour à la normale désespérant ou celle d’une exploitation post-mortem. Il est bon que les deux se côtoient, montrant les diverses manières d’accommoder une vision d’une dureté sans concession.

François Bonini

Les sorties Tamasa

Sorties de la semaine du 24 juin 1964

Le mari de la femme à barbe, affiche reprise 2022 (Tamasa)

© 1964 TF1 Studio (Film), © Tamasa (DVD). Tous droits réservés / All rights reserved

Le test Blu-ray :

Complément et packaging : 4.5 /5

D’abord, l’essentiel : les deux fins alternatives, passionnantes et, malgré leur diversité, tout aussi sombres. Il faut également compter avec l’intervention de Gabriela Trujillo qui revient sur l’accueil froid réservé au film, ses origines multiples, ses ennuis avec la censure, avant de célébrer comme il se doit Ugo Tognazzi. Malgré quelques redites, l’entretien est intéressant et se conclut sur l’idée que le « monstre » n’est pas celui qu’on croit. Enfin, une fois n’est pas coutume, on regardera avec attention les bande-annonce, et surtout les deux, italienne et française, qui sont très différentes et indiquent bien à quel point le marché visé varie : Annie Girardot apparaît longuement sans maquillage dans le seconde, ce qui n’a que peu à voir avec le métrage original.

Image : 4/5

La restauration rend sa beauté à l’image et, malgré de légers fourmillements occasionnels, les contrastes, les nuances, tout y est pour savourer ce film sans restriction.

Son : 4/5

Les deux versions (VO sous-titrée ou VF) ont leurs avantages, mais dans les deux cas elles sont limpides et permettent de savourer des dialogues hauts en couleurs et même les disputes confuses retrouvent leur authenticité. Tout au plus certains passages musicaux sont-ils peu acides.

François Bonini

Le site de l’éditeur

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Le mari de la femme à barbe, affiche reprise 2022 (Tamasa)

Bande-annonce : Le mari de la femme à barbe

Satire, Comédie dramatique

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