Curiosité absolue, Le Cavalier noir noie un sujet audacieux, voire scandaleux, sous un déluge de conventions qui le tire vers l’anodin.
Synopsis : Athée convaincu, le bandit Anacleto impose une véritable terreur dans le petit village de Quantana. Quand le père Keogh arrive pour reprendre la tête d’une congrégation catholique, il se heurte au hors-la-loi sans défaillir. Anacleto, intrigué par la foi inébranlable du prêtre, tente de le pousser dans ses derniers retranchements.
Film maudit cherche explication
Critique : On connaît bien maintenant l’histoire de ce film singulier que personne ne voulait vraiment faire : le réalisateur peu familier de la religion catholique, Mylène Demongeot furieuse qu’on ait remplacé Charlton Heston (qui jugeait sans doute le rôle trop sulfureux) par le « vieux » John Mills dont elle avait du mal à penser qu’elle puisse tomber amoureuse, même à l’écran, et Dirk Bogarde enfin, qui devait interpréter un personnage pour le moins ambigu. Reste que ce Cavalier noir, existe bel et bien, avec son audace initiale ; qu’on en juge : un prêtre (Mills) débarque dans un village du Mexique tenu par un bandit, Anacleto (Bogarde), farouchement anti-religieux. Mais loin d’être un affrontement viril, leur relation évolue de manière surprenante pour l’époque, et peut-être encore aujourd’hui : Anacleto tombe amoureux du père Keogh, alors que celui-ci tente de l’amener à la foi. Qu’on ne pense pas qu’il s’agit d’un sous-texte, d’un implicite camouflé : le bandit est ouvertement gay et épris du prêtre (sa tenue de cuir noir très camp et des répliques limpides le montrent assez). À quoi s’ajoute une jeune femme, Locha (Demongeot), qui succombe également aux charmes du prêtre. Ainsi se constitue une sorte de triangle amoureux qui ne peut que déboucher sur un dénouement tragique.
Le cavalier noir, western à quatre roues et quatre pattes
Mais l’audace du sujet ne suffit pas, et le film accumule les handicaps. On pense moins ici au choix de John Mills, qu’à un scénario filandreux, souvent laborieux, aux péripéties mollassonnes et parfois abstruses. L’histoire se déroule en effet sur un long temps, avec une chute puis un retour d’Anacleto peu convaincants et des incohérences quant aux motivations des personnages. Comme prévu, on comprend mal pourquoi Locha tombe amoureuse de Keogh, dépourvu d’attrait physique et de charisme ; on peine à admettre la complaisance du prêtre envers le bandit, surtout que celui-ci est un meurtrier sans scrupules, assassin d’enfant. Plus encore, Roy Ward Baker, déjà réalisateur accompli (il avait tourné entre autres Troublez-moi ce Soir avec Marylin Monroe en 1952 et une version du naufrage du Titanic, Atlantique, Latitude 41° en 1958) semble effaré par son sujet et ne cesse d’en restreindre les audaces potentielles, se contentant bien souvent d’un plat enregistrement, là où on attendrait une flamboyance à la Duel au Soleil (King Vidor, 1946). L’essentiel du film est ainsi constitué de discussions plus ou moins lourdes, les séquences de violences, à l’exception de la dernière, frisent l’allusion ou l’hors-champ, quand elles ne sont pas ridicules (la chute du pantin …). D’où le fait que le spectateur trouve le temps long : au lieu d’un western nerveux, il assiste à des conversations pas vraiment palpitantes. Western est d’ailleurs un mot impropre, puisque des voitures et un bus contemporain surgissent çà et là, même si les personnages semblent préférer les chevaux, de préférence à peu près immobiles.
Sous-texte homosexuel explicite et donc audacieux
Contrairement à ce que suggère le titre français, le héros du film n’est pas Anacleto, mais bien le prêtre, soumis à des tentations charnelles (il avoue son amour pour Locha), décidé à combattre ce cavalier noir avec ses armes à lui, c’est à dire sa foi. Mais de ses dilemmes on aura peu conscience, tant ils sont dilués dans le scénario et rendus opaques par la prestation de Mills, qui suggère mal les troubles de sa conscience. L’acteur, souvent intéressant ailleurs, paraît plus à l’aise dans la fermeté (voir la belle séquence où il raccompagne le prêtre précédent) que dans l’expression de sentiments interdits.
Il y avait dans cette histoire, culottée rappelons-le, une dimension métaphysique que le choix de Mills aurait pu entraîner : puisque l’homme n’était pas séduisant, l’amour d’Anacleto et de Locha aurait pu être un défi lancé à Dieu, dans la lignée d’Achab ou de Dom Juan. Mais c’est le contraire qui est privilégié : comme l’affirme la métaphore filée dans le film et reprise par la dernière réplique et le titre original, Anacleto est séduit par le chanteur et pas la chanson, par le prêtre et pas la religion. Très logiquement, la séquence finale, mi- déchirante, mi- ridicule, reprend le conflit amour-foi pour le dénouer dramatiquement.
Le Cavalier noir n’est pas un grand film. Il patine souvent, lasse parfois. Il serait néanmoins injuste de ne pas saluer son caractère scandaleux, ainsi que quelques trouvailles dont les meurtres par ordre alphabétique, des comédiens réjouissants, au premier plan desquels Dirk Bogarde, toujours étonnant et nuancé, face auquel Mylène Demongeot dans un rôle plus ingrat ne démérite pas. Ce n’est certes pas assez pour enthousiasmer, mais suffisant pour regarder cet OVNI peu connu.
Sorties de la semaine du 24 janvier 1962
Biographie +
Roy Ward Baker, Mylène Demongeot, Dirk Bogarde, Laurence Naismith, John Mills, John Bentley