L’appel de la forêt est un oxymore cinématographique en chantant la beauté de la nature à l’aide d’effets numériques qui artificialisent tout. Ajoutez à cela une bienveillance de chaque instant et le spectacle est à réserver au très jeune public.
Synopsis : La paisible vie domestique de Buck, un chien au grand cœur, bascule lorsqu’il est brusquement arraché à sa maison en Californie et se retrouve enrôlé comme chien de traîneau dans les étendues sauvages du Yukon canadien pendant la ruée vers l’or des années 1890. Buck va devoir s’adapter et lutter pour survivre, jusqu’à finalement trouver sa véritable place dans le monde en devenant son propre maître…
Un roman d’aventures darwinien
Critique : Roman classé de manière abusive dans la littérature jeunesse, L’appel de la forêt de Jack London a été publié pour la première fois en 1903. Si son intrigue suit bien les traces d’un chien domestique qui va retourner à l’état sauvage par de nombreux concours de circonstances, le roman s’attache surtout à théoriser avec un certain sens de la sauvagerie l’idée de « Struggle for Life » (lutte pour la vie). Particulièrement violent et sans concession, le roman développe donc des idées darwiniennes puissantes qui ramènent l’animal à ses instincts premiers afin de pouvoir survivre.
Face au succès de l’œuvre littéraire, le cinéma n’a pas tardé à s’emparer de cette histoire adaptée dès 1908 par le réalisateur D.W. Griffith. Après une version parlante de William Wellman datant de 1935, le film le plus connu du lot n’est autre que celui de 1972 réalisé par Ken Annakin et interprété par Charlton Heston. Si toutes ces aventures ont déjà été tournées pour un public jeune, on pouvait y retrouver une certaine violence – même fortement atténuée.
Une version tellement 2020 dans sa volonté de ne froisser personne
Que pouvait-on attendre d’une version plus actuelle, dont le cœur de cible est bien évidemment les enfants ? Forcément une trahison de l’œuvre originale. Et de fait, L’appel de la forêt version 2020 est symptomatique de l’époque actuelle, ruinée par une volonté générale de plaire à tout le monde et de ne froisser personne. Exit donc toute forme de violence dans ce pur produit de consommation courante. Lorsque le chien Buck se retrouve face à des maîtres qui le brutalisent, le réalisateur prend soin de ne jamais montrer le moindre coup contre l’animal. Même l’affrontement entre les chiens pour devenir le chef de meute est réalisé de manière poétique afin d’éviter de choquer.
Mais le plus gênant dans L’appel de la forêt vient du choix totalement absurde de remplacer la plupart des animaux présents à l’écran par des versions numériques. Par la grâce de la motion capture, ce sont des humains (issus du Cirque du Soleil) qui ont servi de référence pour les mouvements de Buck le chien. Si le résultat final peut apparaître globalement satisfaisant lorsqu’il s’agit de reproduire le pelage de l’animal, que dire de ce regard vide et totalement inexpressif que la pauvre bête arbore durant toute la projection. Malgré tous les efforts des créateurs, les CGI n’expriment tout simplement rien si ce n’est une froideur robotique qui confine au ridicule.
La beauté de la nature rendue artificielle par abus de CGI
Dès lors, L’appel de la forêt devient un véritable oxymore cinématographique. Les auteurs cherchent à signifier le retour à une nature sauvage en faisant incarner les animaux par des hommes (et donc des créatures numériques à l’écran), le tout au milieu de paysages qui n’ont plus rien de naturels tant l’écran ressemble à une démo de jeu vidéo. Alors que nos amis les chiens sont capables de réaliser des merveilles à l’aide du dressage, les exécutifs hollywoodiens ont donc opté pour cette numérisation absurde qui rend l’intégralité du film artificiel. Il est difficile dans ces conditions d’éprouver la moindre émotion pour ces animaux dont on n’oublie jamais le statut d’artefact numérique.
C’est d’autant plus dommage que certaines idées s’avèrent séduisantes et que les acteurs qui ont été conviés à ce grand festin numérique sont plutôt bons. Si Omar Sy ne force pas son talent en incarnant un Québécois souriant, on peut trouver très juste l’interprétation d’Harrison Ford en vieux briscard qui fuit la mort prématurée de son enfant dans les paysages enneigés du Grand Nord. Alors que les grandes lignes du roman sont respectées, on notera que la dernière partie a été fortement édulcorée pour tendre vers le spectacle familial inoffensif. Un choix commercial compréhensible, même si irritant pour les adultes que nous sommes.
Un beau succès malgré le contexte défavorable de la crise sanitaire
Pas totalement mauvaise, cette version lisse et sans aspérité devrait ravir le très jeune public et laisser indifférent la plupart des adultes qui se souviendront avec nostalgie de ces bons films d’aventures à l’ancienne où chaque action des personnages sentait la sueur d’une équipe technique admirable au vu des risques pris. Avec L’appel de la forêt 2020, Chris Sanders signe donc un divertissement insignifiant qui est uniquement destiné aux moins de 18 ans. Les autres peuvent passer leur chemin.
Sorti au mois de février 2020, le long-métrage a connu un démarrage convaincant dans les salles françaises avant que son exploitation ne soit interrompue par le premier confinement lié à la crise du Coronavirus. Le film a ensuite été programmé à nouveau à la réouverture des salles au mois de juin 2020, grapillant ainsi quelques entrées supplémentaires. Le métrage a terminé sa carrière à 1,2 millions de spectateurs français, ce qui en fait un très gros succès vu le contexte défavorable. Preuve que le distributeur Disney a su encore une fois séduire des foules peu regardantes.
Critique de Virgile Dumez
Sorties de la semaine du 19 février 2020
Notes au moment de la sortie du film : C’est le 20 février 2020 que sera lancé à l’échelle mondiale L’appel de la forêt, nouvelle adaptation du classique de Jack London. Le roman d’aventures canin a été publié en 1903 et depuis a été adapté en films d’animation ou en longs métrages traditionnels. L’adaptation la plus célèbre demeurant celle de Ken Annakin, avec Charlton Heston et Michele Mercier, en 1973, on peut citer dès 1923 et le cinéma muet, une première occurrence hollywoodienne.
Le point de vue des critiques aux Etats-Unis
Cette production Twentieth Century Fox, distribuée par Disney après le rachat de studio mythique, a coûté 125 millions de dollars. Une somme considérable, qui s’explique par la présence de la star humaine Harrison Ford, qui sert de narrateur, mais surtout de par les effets spéciaux numériques qui ont été décriés par les critiques américains. Le Washington Post regrettant le regard sans vie des chiens numériques, en particulier quand ils se tiennent à côté des humains. Le Hollywood Reporter déplore également cette singularité, dans cette adaptation 2020, puisqu’il s’agit du premier chien numérique au pays de Jack London, et cela choque. Les effets spéciaux relevant effectivement de la Motion Capture, car sur des fonds verts, ce sont bien des hommes qui vont jouer ces animaux. En particulier, le chien central au récit, Buck, qui est interprété par un performeur du Cirque du Soleil. La bande-annonce et les photos du film donnent un avant-goût de ce qui plaira aux enfants, mais calmera tout de suite les adultes.
Ce récit ancré dans la mythologie américaine de la ruée vers l’or permet au moins à Harrison Ford, selon les critiques américains, de faire preuve d’intensité dans son jeu, malgré sa faible présence à l’écran, ce qui serait l’élément le plus appréciable dans le film, au-delà du décor naturel et de la photographie de Janusz Kaminsk.
Bref, les critiques voient surtout un symbole dans cette production Fox distribuée finalement sous l’égide de Disney. Les animaux en CGI sont un peu l’apanage du géant américain. Le réalisateur lui-même est parfait pour la transition de studio. Il s’agit en effet du premier film (semi) live de Chris Sanders dont le nom est associé à Disney et à Dreamworks. Il a réalisé Lilo & Stitch pour Disney en 2002, et pour Dreamworks Dragons et Les Croods.
Les Français apprécieront peut-être la présence clin d’œil d’Omar Sy qui interprète le rôle d’un Canadien. Au vu des chiffres de ses derniers films en France, pas certain que cela fasse accourir les meutes…