Produit britannique violent du début des années 70, La tour du diable est une production caverneuse et gothique qui croise les horreurs contemporaines du Métro de la mort de Gary Sherman et La baie sanglante de Mario Bava, avec l’assurance expérimentale et psychédélique de son époque dingue.
Synopsis : Accostant Snape Island, un îlot au large de l’Écosse, deux pêcheurs découvrent les corps de trois jeunes gens sauvagement assassinés. Penny, l’unique survivante, dans un état second, tue l’un des pêcheurs. Admise dans un hôpital, elle va raconter ce qu’elle a vu. Peu après, des archéologues débarquent sur l’îlot à la recherche de la tombe d’un roi phénicien…
De la hauteur dans les enfers
Critique : La tour du diable est infernale. L’horreur y est à la croisée des genres et des époques ; elle se nourrit du gothique propre à la production britannique des années 60 (les rejetons de la Hammer et d’Amicus) qu’elle mâtine de sauvagerie gore et cracra du début des années 70, en préfigurant le genre du slasher en isolant les victimes pour mieux les faire tomber les unes après les autres, dans un contexte de permissivité sexuelle.
Le film de Jim O’Connolly, très brièvement distribué dans l’Hexagone en juin 1973, annonce bien des atrocités cinématographiques de son temps, entre les meurtres en série de La baie sanglante de Mario Bava (1972) et ceux, souterrains, du Métro de la mort de Gary Sherman (1972), contemporain britannique qui partage le même type de monstre hirsute. La singularité de La tour du diable est évidemment son cadre marin, celui d’une île rocheuse de légende où l’on découvre un trésor phénicien qui ira jusqu’à influencer le titre du film en Italie, cadre insulaire embrumé en permanence s’érigeant en pendant bis d’un poème de John Keats ou de Samuel Taylor Coleridge, où la solitude marine, surnaturelle et gothique, pèse sur un paysage riche de sens. En fait, Tower of Evil érige une belle figure cinématographique, le phare de l’angoisse qui accouchera de quelques jalons comme Fog de John Carpenter (dont le succès vaudra au film d’O’Connolly une reprise en salle aux USA sous un titre alternatif), mais aussi Le phare de l’angoisse, Cold Skin de Xavier Gens et évidemment le chef d’œuvre de Robert Eggers, The Lighthouse, épitome dans sa littérarité d’un sous-genre frappé des méninges où les mélancolies, solitudes et angoisses existentielles s’entrechoquent dans le verbe.
Par le réalisateur de La vallée de Gwangi
Engagé par le producteur Richard Gordon (La poupée diabolique, Le Rayon de la mort, L’île de la terreur), le réalisateur Jim O’Connolly arrive sur La tour du diable par accident, après l’éviction du scénariste George Baxt qui avait initié un projet plus second degré. O’Connolly a eu à réécrire le scénario sans démériter, puisqu’il ne connaît pas vraiment les tenants et les aboutissants du cinéma d’épouvante, puisqu’il vient de productions plus canoniques comme Le Cercle de sang, avec une Joan Crawford démente en 1967, et La vallée de Gwangi, hybride du jurassique aux effets spéciaux en slowmotion, du maestro Ray Harryhausen qui n’a pas marché. Le cinéaste tourne alors son premier film d’horreur non sans honneurs. Sa réalisation est inspirée : il se permet des plans souvent sophistiqués pour une série B qu’il habille de quelques belles idées de mise en scène, et d’une volonté de plaire aux demandes de son producteur Richard Gordon, en privilégiant une violence crue et tranchante, et une nudité insistante, propre à la sexploitation dont raffolaient les Britanniques.
Avec sa narration barrée où se mélangent différentes couches de récits, La tour du diable offre en incipit un carnage d’une sauvagerie corsée pour une production britannique de son époque. Deux marins débarquent sur l’île au phare où des corps gisent un peu partout, avant que l’un deux ne succombe, atrocement embroché par une femme traumatisée… C’est ce point de départ qui va ensuite inspirer une chasse au trésor avec des personnages plus âgés que les jeunes victimes dépeintes dans la séquence inaugurale, et qui vont être confrontés à la même monstruosité, entre légende folklorique et dégénérescence atavique à la croisée des océans.
La tour du diable, supplices surannés garantis
Avec une tonalité visuelle surannée qui le rattache indéniablement à l’insularité britannique, Tower of Evil était sûrement déconcertant aux yeux des amateurs de cinéma fantastique. Le projet au décor vieillot est à la pointe des fulgurances érotiques, gore, craspec et insinue de vrais instants de folie, et couvre des tonalités cinématographiques diverses dont les publics ne sont pas forcément les mêmes. Ce savoureux mélange a sûrement dérouté et l’échec à sa sortie qui a été une première pierre dans la tombe de son réalisateur, s’est fait ressentir jusqu’à nos rivages. A Paris, le film sort en exclusivité au Styx, cinéma de quartier où il ne reste à l’affiche qu’une seule semaine avant de disparaître pendant une dizaine d’années.
Son plus gros succès en France, c’est en VHS et V2000, chez Hollywood Vidéo, que le film l’obtient, au début des années 80 pour une exploitation fructueuse, même si un peu moins de dix ans après sa sortie cinématographique, sa texture paraît alors bien archaïque aux yeux des jeunes d’une époque qui étaient passés à autre chose. Le visuel de la jaquette signé par le jeune Melki qui débutait et sortait de La Baie sanglante et La dernière maison sur la gauche toujours pour la société de Frank Lipsik et Jean-Jacques Vuillermin, vendait magistralement un produit éminemment plus ancré dans les délires de son époque, avec un visuel de phallus et de sang que l’artiste érigera en marque de fabrique (voir la jaquette de Dr. Jekyll et les femmes de Walerian Borowczyk, toujours édité par Hollywood Vidéo).
Dix ans après le DVD Artus…
Le souvenir de La tour du diable s’estompera peu à peu de la mémoire des amateurs de vidéocassettes avant de tenter une réapparition discrète dans les années 2000 en DVD. En France, c’est le jeune éditeur héraultais Artus, indépendant de la vidéo, qui l’édite en 2016. Cette petite société d’édition de cinéma de genre n’avait pas encore les moyens d’éditer une copie blu-ray pourtant disponible outre-Manche et outre-Atlantique, avec une première édition en 2013 chez Kino Video, puis en 2015 chez Screenbound Pictures…
En 2025, La tour du diable revient en vidéo en France, pour la première fois en HD, cette fois-ci chez Rimini, dans sa collection Angoisse. Les souvenirs sont intacts, ceux d’un thriller monstrueux au creux des grottes insulaires d’un thriller horrifique carnassier, volontairement désagréable pour horrifier à nouveau les nostalgiques de séries B d’antan qui trouveront matière à flirter avec des genres et des ambiances d’une richesse insoupçonnées.
Les sorties de la semaine du 13 juin 1973
Design © Tourman (Cinéma), Melki (VHS). Tous droits réservés.
Le test blu-ray de La tour du diable
Plus de 40 ans après son édition VHS culte, La Tour du diable, série B comme Britannique, aux airs marins gothiques, ressort son rafiot, mais cette fois-ci en blu-ray.
Il s’agit du quatrième titre proposé par l’éditeur Rimini Editions dans la collection Angoisse en 2025, après Les Yeux de feu, La nuit des maléfices et Body Trash.
Packaging & Compléments : 3.5 / 5
L’édition collector limitée propose un packaging semblable à tous les titres de la collection Angoisse de Rimini, avec un visuel nouveau particulièrement gratifiant tant les affiches du film ont été décevantes au fil des sorties cinéma ou vidéo. On se souvient notamment de la jaquette peu ragoutante d’Artus qui avait édité le film dans les années 2010. Le visuel de Rimini retrouve l’inspiration que Melki, à ses débuts, avait eu pour Hollywood Vidéo.
Au niveau des bonus vidéo, Rimini Editions a récupéré l’interview qu’Éric Peretti (programmateur du Lausanne Underground Film & Music Film Festival) avait enregistré pour Artus. Pendant près de 25 minutes, le document vidéo parcourt la carrière du producteur Richard Gordon, la naissance du projet Tower of Evil, avec le scénario de George Baxt, qui va finalement être abandonné pour être réécrit par Jim O’Connolly qui va le mettre en scène. C’est profus, riche en anecdotes, avec de nombreuses références à la biographie du producteur du Chat et du Canari et d’Inseminoid.
Comme pour toute édition Rimini, on retrouve un riche livret de Marc Toullec, ici intitulé Massacre sur l’île au trésor, soit 24 pages savantes, qui reprend aussi certains éléments de la biographie de Richard Gordon.
Image : 3 / 5
La copie jouit d’un rafraichissement de l’image évident, avec un contraste qui est indéniablement celui d’une HD satisfaisante. A ce niveau, elle se situe aux antipodes de la bande VHS particulièrement sombre qui sévissait dans les années 80. Néanmoins, l’apparition régulière d’anicroches ne peut que décevoir. Le nettoyage de la bande est désormais très accessible pour parvenir à un résultat proche de l’excellence.
Son : 3 / 5
Il faudra privilégier la piste française Mono à la piste originale Mono. Les voix sont plus amples et moins étouffées que celles de la version originale où les voix et l’ambiance musicale, évidemment frontales, manquent de clarté.
Les films d’horreur des années 70
Packaging collector de La tour du diable (Combo DVD + Blu-ray Collector, Rimini Editions © Grenadier Films LTD. 1972. All Rights Reserved
Biographies +
Mots clés
Collection Angoisses de Rimini, Les films de 1973, Le cinéma britannique