Joe D’Amato fait de La retape une charge putassière contre le colonialisme, évidemment aux relents racistes et douteux, celui du cinéma d’exploitation italien. Le talent en fait toutefois l’un de ses meilleurs jalons de sa quadrilogie érotique des années 80.
Synopsis : Un soldat anglais, de retour de la guerre contre les Zoulous, revient en compagnie de la fille d’un chef tribal dont il a fait son esclave. En son absence, l’épouse du bel étalon, avide de plaisirs charnels, a eu une aventure torride avec la bonne. L’arrivée de la belle esclave noire va bouleverser l’équilibre fragile de la maisonnée et donner lieu à une débauche de sexe et de haine…
Critique : 1985. Joe D’Amato se décide à faire du cinéma érotique sa nouvelle zone d’exploitation. Le cinéaste aux thématiques déviantes qui a exploité vices, sévices et éviscérations, avec fougue, sans jamais se soucier de la bienséance, est fort du succès grandissant de sa société Filmrage qui va produire successivement quelques longs métrages érotiques méconnus des Français, sauf ceux qui ont pu les voir à la télévision dans les années 90, notamment sur M6, afin de profiter du succès du porno chic de Tinto Brass en le croisant par une prose bisseuse et bâtarde, parfaitement compatible avec le développement de la vidéocassette.
Une quadrilogie érotique avec Lilli Carati, l’actrice maudite du cinéma italien
Avec Le retape, D’Amato entame une collaboration fructueuse avec la starlette des années 70, Lilli Carati, qui allait vivre une véritable descente aux enfers. Via sa firme Filmrage, ils enchaîneront à travers une quadrilogie bien-aimée, les succès qui se vendront dans le monde entier, pour des exploitations VHS et télévisuelles. Pourtant, à redécouvrir La retape à l’ère post #MeToo et à celle de Révise-tes années-70-en-les- effaçant.com, il est incroyable de voir la puissance du film dans son entièreté aux relents racistes et machistes que Joe D’Amato voyait pourtant comme une charge contre l’emprise des hommes sur la femme et l’insupportable colonialisme. L’équivoque et l’ambiguïté seront forcément de mise pour le spectateur contemporain qui sera sûrement surpris que ce cinéma ait pu proliférer à une époque qui n’avait visiblement pas encore lavé tous ses péchés.
Maîtres blancs, esclave noire
Interprété également par la muse du cinéaste, l’Indonésienne Laura Gemser, La retape pose sa caméra en 1936, à une époque où la déliquescence bourgeoise est une fois de plus pointée du doigt par le cinéma d’exploitation italien (pensez Aldo Lado et La bête tue de sang froid ou Je suis vivant, tous deux édités en blu-ray chez Le Chat qui fume). Les vices cachés des familles de nobles, dites héroïques de par leurs exactions africaines, sont largement évoqués dans cette œuvre osée qui balance du lourd. Un officier italien revient du front de la seconde guerre italo-éthiopienne, avec comme trophée une princesse éthiopienne, incarnée forcément par l’égérie des Black Emanuelle des années 70. Elle est vouée à être son esclave. Les dialogues crus font mal aux oreilles tellement l’humour “racé” à l’encontre des Africains a priori dépeints comme des peuples indigènes inférieurs et des bêtes de foire, est immonde.
La retape tape fort sous ses airs de film d’exploitation
Toutefois, dans le cinéma bis, zone de marécages fréquentée par les classes populaires des cinémas de quartier des années 60 à 80, les immondices sont également l’objet d’une ironie féroce où in fine, la patte patriarcale et occidentale est bousculée par la réalité de la force des personnages féminins, qui reprennent le dessus sur la bêtise masculine. Les femmes moins soumises qu’on peut le croire, dominent et n’agissent jamais par faiblesse, même quand un viol sera l’occasion d’une vengeance totale.
Par un jouissif retournement de situation bien vu par “l’ersatzeur en série”, c’est bien toute la hiérarchie des “races” et des couleurs qui est inversée avec l’assujettissement du foyer bourgeois à l’esclave noir. Celle-ci inocule fascination auprès de ses maîtres, tous deux devenus de pathétiques pantins. Le mari et la femme, déjà entamés dans leur couple par la perversion (l’idylle lesbienne de la patronne avec une autre servante), font désormais chambre à part et n’ont plus que la décadence à afficher sous leur toit. Ils sont même prêts à tuer pour conserver les services très spéciaux d’une femme plus intelligente que l’animal qu’ils osaient imaginer lors de leurs conversations ethnocentristes XIXe siècle. Désormais prêts à dilapider leur pouvoir érodé par une supériorité psychologique qui les prend de court, les bourgeois italiens n’attendent plus que le couperet final, avec un twist enflammé qui aura la sauvagerie de sa rupture car à l’époque, une fois la fin tombée, on se faisait l’économie de toute scène supplémentaire, en précipitant le générique sur l’émotion portée à son paroxysme.
Malgré une musique de production érotique bas de gamme, et quelques menus défauts, La retape est, jusque dans sa réalisation, l’une des œuvres les plus abouties de son auteur, sur cette décennie déclinante des années 80. Un film qui compte, avec Blue Holocaust, Anthropophagous, Horrible et, dans le genre érotique, La femme pervertie.
Les sorties de la semaine du 1er janvier 1986
Voir en streaming
Box-office :
Sortie en salle complètement hors-saison, un 1er janvier 1986, La retape a eu une carrière satisfaisante pour son distributeur Les Films Jacques Leitienne qui est parvenu à en extirper 8 222 spectateurs en 4 semaines dans seulement deux salles parisiennes.
Pour son lancement, la production érotique de Joe D’Amato investit les cinémas Le Ritz et la Maxeville, où il engrange tranquillement 4 440 spectateurs qui n’avaient jamais entendu parler de ce film qui fut seulement vendu par la magnifique affiche de Sciotti.
Réduit à un écran pour sa deuxième ronde, La retape glanait 1 206 spectateurs sur les Grands Boulevards. La Maxeville le conserve pour une troisième semaine à 1 075 spectateurs. Pour son ultime semaine d’exploitation, Lilli Carati achevait sa passe au Paris-Ciné où elle entretenait de ses charmes 1 512 clients.